
Isabelle et Nicolas s’aiment, ils sont jeunes, sympathiques, le monde s’ouvre à eux. Nicolas est prof, Isabelle fait des petits boulots, ils vivent dans un appartement en centre bourg. Leurs vieux voisins Georges et Léa sont devenus de vrais amis. Et bientôt, un bébé s’annonce. Le bonheur en somme…
C’est en arpentant la campagne bourbonnaise qu’ils aiment tant qu’Isabelle et Nicolas découvrent Pierre noire, le lieu-dit et la maison. La pierre elle-même s’élève seule au bout d’un austère chemin, tandis que la maison retirée n’a qu’un seul voisin. Tout de suite, Nicolas a un coup de cœur pour cette solide et authentique bâtisse : il n’imagine plus son bonheur ailleurs qu’à Pierre noire qu’il compte rénover en grande partie de ses mains. Isabelle est beaucoup moins enthousiaste, un certain malaise s’empare même d’elle en visitant la maison. Il faut dire que le sympathique voisin ne se fait pas prier pour raconter le drame que s’y est déroulé quelques dix ans auparavant.
Marie la Polonaise, une vieille femme, s’est pendue dans la grange de Pierre noire. Isabelle ne peut faire abstraction de ce malheureux épisode, elle cherche à en savoir plus sur Marie. Elle découvre alors l’histoire d’une belle jeune fille dont la vie ne fut qu’une succession de drames, nés de la guerre. C’est une vieille femme très éprouvée, tenue pour folle, qui s’est pendue à Pierre noire. Isabelle ne cesse d’y penser, pour son malheur. Elle perd le bébé qu’elle portait, puis son bel entrain de jeune amoureuse. L’idée d’aller bientôt vivre à Pierre noire, grâce au travail acharné de Nicolas la mine. A l’évidence, la maison creuse un fossé dans ce couple jadis si uni.
Ce roman de Chantal Forêt s’inscrirait plus certainement dans le genre du suspens psychologique s’il ne commençait par la fin : en lisant les premières page le lecteur sait qu’Isabelle et Nicolas ont péri brûlés dans leur maison. Reste à savoir comment la demeure a pris possession de ces deux jeunes gens, comment elle les a éloignés l’un de l’autre, les obsédant chacun à leur façon : lui s’aveuglant dans la restauration, elle s’enfonçant dans la dépression. La plongée est intime, minutieuse, elle décrit pas à pas la progression du mal au cœur du couple. Chacun progressivement s’enferme dans son obsession, devenant aveugle et sourd à la souffrance de l’autre. Chantal Forêt écrit le bonheur puis l’angoisse insidieuse, l’impuissance des amis. On pense parfois à quelques films ou romans avec maisons hantées sans que cependant l’intrigue bascule dans le fantastique. Mais l’ambiance est bien là. A mes yeux il est quand même un peu dommage que la fin soit connue dès le début, la tension aurait été plus grande encore si on l’avait gardée pour le dénouement. Mais cette intrusion d’un passé maléfique au sein d’un couple reste prenante.
Pierre noire
Chantal Forêt
L’Archipel, 2015
ISBN : 978-2-8098-1572-6 – 253 pages – 17.95 €
Je ne suis absolument pas superstieuse mais je suis certaine que les maisons isolées ne sont pas favorables à l’entente des couples. Comme je lis toujours la fin des suspens avant le début ce roman me conviendra bien .
Ça m’étonne toujours les gens qui comme toi lisent la fin des suspens ou des romans policiers avant le début : quel est le plaisir ? Est-ce parce que tu es trop impatiente ? Tu n’aimes pas être tenue en haleine, manipulée ?
j’aime prendre mon temps pour lire parfois je lis très vite, parfois je lambine une heure ou deux sur deux ou trois pages, le suspens m’oblige à pendre un rythme qui n’est pas le mien, alors je me débarrasse au plus vite du suspens pour retrouver ma liberté de lecture, et il est vrai que les romans que je préfère sont ceux qui savent créer de la tension alors qu’ils ont donné la solution au début. De plus, parfois, en dehors de la surprise de la fin le roman est très creux.
A l’inverse de Luocine, je trouve dommage de savoir dès le début comment ça se termine. J’ai toujours été intéressée par la manière dont les lieux imprègnent les humains, je le note.
C’est un excellent roman sur le mystère des lieux. Et comme ça ne bascule pas dans le fantastique, c’est encore plus plausible, donc inquiétant. L’auteur se penche aussi, je pense, sur les mécanismes psychologiques d’auto-destruction : comment on en arrive à ruiner soi-même son bonheur. Enfin je crois que c’est aussi une lecture possible.
Je suis très tentée mais cette tendance des auteurs contemporains à raconter la fin avant le début m’exaspère au plus haut point …
C’est un autre mécanisme de suspens : comment on va d’une situation A idyllique à une situation B catastrophique. Oui, le lecteur veut savoir comment un tel désastre est arrivé, mais comme toi, je préfère ne rien savoir de la fin à l’avance…
ça me gêne aussi de savoir la fin à l’avance, ou alors il faut que ça reste vraiment flou… certains auteurs le font très bien. (par exemple on pourrait ignorer s’il y a des victimes à l’incendie, qui elles sont…)
Ce qui intéresse le plus l’auteur ici, je crois, c’est comment la maison en vient à obséder les deux jeunes époux. C’est très psychologique et de ce point de vue-là, réussi. Pour moi, ça aurait été un plus de ne pas savoir la fin, mais bien sûr ça ne gâche pas tout le livre.
Brrrr, il a l’air de faire froid dans le dos, tout de même.
Ça n’est pas gai, en effet…
J’adore ce genre d’atmosphère et j’étais très emballé jusqu’à ce que tu parles de la construction de l’histoire… Mais j’imagine qu’on a envie de savoir comment on en est arrivé là…
Oui, c’est tout l’intérêt de la construction du roman qui ne repose pas sur le suspens de l’intrigue mais bien sur le suspens psychologique, la progression du Mal au sein du couple…
Je le note, ça a l’air assez glauque. Dommage aussi qu’on sache la fin au début.
Je ne dirais pas que c’est vraiment glauque, c’est surtout inquiétant…