Alors qu’on peut parfois penser que tout a été écrit sur le sujet, on publie toujours de nombreux romans sur la Shoah. La littérature jeunesse n’est pas en reste. Pour emporter l’attention puis l’adhésion de ses lecteurs exigeants, elle devra se plier à des contraintes qui lui sont propres. Justement, la contrainte est un des sujets du dernier roman de Christophe Lambert, Lever de rideau sur Terezin.
Victor Steiner est un dramaturge à succès. Depuis le décès de sa jeune et fragile épouse, il ne vit plus que pour son oeuvre. Depuis le début de la guerre et de l’Occupation, il est parvenu à vivre caché à Paris, grâce à ses amis. Mais il est finalement arrêté et déporté en janvier 1944 à Terezin. C’est un camp particulier où d’autres artistes juifs survivent. Steiner découvre qu’un des officiers, le francophile Hauptsturmführer Waltz, s’intéresse beaucoup à son travail. Au point de lui demander d’écrire une pièce qui sera jouée par les prisonniers le jour de l’inspection du camp par la Croix-Rouge.
Cette surprenante inspection de la Croix-Rouge dans un camp de prisonniers était déjà l’objet du roman de Morten Brask, Terezin Plage. Avec la même habileté, Christophe Lambert explicite les manoeuvres nazies qui ont rendu possible une telle supercherie : réparations, embellissements, costumes, mais aussi déportation des plus malades vers Auschwitz : rien n’a été négligé pour démontrer avec succès aux inspecteurs que Terezin n’était qu’une ville comme les autres.
Dans ce contexte historique surprenant, Christophe Lambert imagine un dramaturge contraint d’écrire une pièce de commande. Selon l’ordre de Waltz, elle doit se dérouler au XVIIe siècle. Steiner ne peut bien sûr pas refuser et choisit habilement de mettre en abime sa situation : Molière, mettant en scène Les Fâcheux pour Fouquet, va devoir modifier son texte pour complaire au roi. Et ainsi sacrifier son art à la demande du pouvoir. Écrire sous la contrainte donc. Comme le font souvent les auteurs jeunesse qui répondent aux commandes des éditeurs (voire parfois de leurs lecteurs qui réclament des suites). D’où une double mise en abime.
De stimulantes questions jaillissent à la lecture. Ne peut-il rien s’écrire de bon sans une entière liberté créatrice ? L’oeuvre de Molière et de tous les artistes pensionnés apporte une évidente réponse. L’artiste peut-il transformer la contrainte en stimulation ? Depuis des années, l’Oulipo prouve que oui. L’art peut-il surgir d’un contexte aussi tragique que celui des camps ? Olivier Messiaen répond à cette question avec son Quatuor pour la fin des temps.
On imagine ce que Christophe Lambert a pu mettre de sa grande expérience d’écrivain dans ce roman. Les étapes et les affres de la création sont intégrées à l’intrigue, qui se double d’un projet d’évasion le jour de la représentation de la pièce. Autre excellente idée, Christophe Lambert a bel et bien écrit la pièce en question, Le défi de Molière, et le lecteur peut la lire en fin d’ouvrage. Mon unique regret est que la prosodie y est maltraitée : on bute malheureusement sur des alexandrins qui n’en sont pas. Sinon, la pièce est à la fois drôle et grave, tout à fait dans l’esprit de Molière qu’on imagine tâcheron du verbe, voulant plaire et consterné par le sort de Fouquet.
Avec Lever de rideau sur Terezin, Christophe Lambert nous offre une fois de plus un très bon roman. Je m’étais jusqu’à présent cantonnée à ses romans fantastiques ou de science-fiction, mais il me faut constater qu’il maîtrise aussi bien le roman historique. Il sait manier avec intelligence ce matériau exigeant qu’est l’Histoire et réjouir à coup sûr ses lecteurs grâce à une intrigue efficace qui ne cède rien à la mode. Il choisit et choisit bien ses contraintes.
Lever de rideau sur Terezin
Christophe Lambert
Bayard, 2015
ISBN : 978-2-7470-5683-0 – 456 pages – 14,90 €
j’imaginais mal cet acteur en écrivain , comme beaucoup de gens je le confonds avec Lambert Wilson ; c’est stupide mais j’imaginais plus Lambert Wilson en écrivain que Christophe Lambert . Oh là là le délit de facies!
Ce n’est pas le même Christophe Lambert. Celui dont il est ici question, c’est celui-là.
Ah, voilà…C’est bien ce que je pensais !
Ah je comprends , j’imagine les déceptions des fans de l’acteur lors des séances de signatures …..
« Non, moi c’est l’écrivain. .. »
En tous cas, envie de le lire
Dès que j’ai appris qu’il sortait, j’ai eu envie de le lire aussi et je n’ai pas été déçue. Je ne l’ai jamais été avec cet auteur, qui écrit aussi pour adultes en SF.
Très envie de le lire
Si je donne envie de découvrir ce roman, cet auteur à de nouveaux lecteurs, je serai plus que ravie car c’est un auteur depuis plus de dix ans, toujours avec plaisir.
A partir de quel âge à ton avis ?
12 ou 13 ans je pense, il faut qu’il aient étudié la Seconde Guerre mondiale, sachent ce qu’étaient les camps et la Shoah…
Mais… mais… Il y avait un Christophe Lambert à la forêt des livres, alors je ne comprenais plus. Heureusement les commentaires au dessus m’ont éclairée…
Comme je papotais avec Erwan Larher (et que c’est classé par ordre alphabétique) j’ai pu apercevoir la foule pour ledit C Lambert (l’autre, je suppose)
Ohla, j’ai déjà du mal avec C. Lambert en tant qu’acteur, alors je vais faire l’impasse sur l’auteur…
Celui-là n’est pas acteur, c’est un homonyme.
Je n’ai jamais lu Lambert. Ce serait un bon début tu crois avec celui-ci?
Oui, mille fois oui. Je n’avais jamais lu avant celui-là de ses romans qui ne soient pas de l’Imaginaire. Mais Swing à Berlin qui n’en était pas a aussi connu un beau succès, je crois que c’est pour ça qu’il a écrit celui-là.
C’est l’auteur de Swing à Berlin ? Alors je note.
Excellent réflexe !
Je l’ai lu et j’ai beaucoup aimé 🙂
M’étonne pas…
Je suis en train de le lire et j’aime vraiment !
Je suis sûre qu’à l’issue de cette lecture tu auras envie de lire d’autres romans de Lambert : l’essayer c’est l’adopter !