Alors qu’elle vient d’être élue miss Blackpool 1964, Barbara décide de quitter son père et sa ville pour Londres. Ce qu’elle veut : être drôle, passer à la télé et faire rire les gens. Brian, qui accepte d’être son agent, lui affirme qu’avec l’accent qu’elle a et son superbe physique, elle ne trouvera rien de mieux que potiche en maillot de bain. Mais Barbara s’accroche, passe des auditions, et finit par trouver un rôle.
Elle devient Sophie Straw, et l’actrice vedette de la série Barbara… (et Jim) sur la BBC. Suite de gags et de plaisanteries cocasses sur la vie d’un couple mal assorti, la série bat tous les records d’audience. Dans ce monde encore largement machiste, c’est Barbara qui porte la culotte, qui a de l’esprit et de la répartie. Le scénario est signé Bill et Tony, deux homosexuels qui ne sont pas en couple et vont suivre des parcours bien différents, alors que l’homosexualité est encore passible de prison. Alors que Tony se marie et essaie tant bien que mal de satisfaire son épouse, la très patiente et compréhensive June, Bill fier de son succès fréquente l’underground londonien. L’évolution de ces deux personnages (et leurs dialogues !) est au moins aussi intéressante que celle de Barbara, devenue Sophie (redevenue Barbara dans la série, j’espère que vous suivez…).
Sophie crève l’écran, à elle seule elle emporte l’adhésion, et doit composer avec l’orgueil froissé de son partenaire masculin, Clive qui a du mal à accepter que son personnage soit mis entre parenthèse. Si la première saison marche du tonnerre, que faire pour la seconde ? Un bébé pour Barbara ? Mais comment conserver un esprit d’avant-garde (celui qui souffle alors en Grande-Bretagne) voire de révolution sexuelle en prônant la famille ? Alors que le but était de faire la nique à tous « les programmes rassis du divertissement britannique« , le Swinging London emporte tout sur son passage et bouscule bien plus que les programmes télé.
Avec humour, Nick Hornby nous entraine dans les coulisses d’une série télé. On y côtoie acteurs, scénaristes, producteurs aux réparties aussi vives et drôles que ceux de la série. C’est un plaisir de suivre le parcours de cette fille du Nord venue accomplir son rêve au moment où les conventions sociales volent en éclat. Elle incarne l’émergence des nouvelles aspirations féminines, avant de se faire rattraper. Puis de vieillir et d’être dépassée… Nick Hornby ne fait pas de son héroïne une militante, juste une femme d’abord paumée mais déterminée, qui vit sans guide ni boussole les bouleversements de son époque qui changent en profondeur les rapports entre hommes et femmes, la sexualité et bousculent les valeurs traditionnelles.
Mais Funny Girl est aussi une réflexion sur l’industrie du divertissement. Aujourd’hui, le divertissement est un dieu : on a le droit, voire le devoir de se divertir, de rire, sous peine d’être traité de vieux crouton acariâtre. Il faut rire de tout, rire à tout prix et on peut tout montrer pour ça. Dans l’échange suivant, Dennis, le producteur de Barbara… (et Jim) s’oppose lors d’un débat à un vieux grincheux (critique littéraire, de surcroit amant de sa femme). Celui-ci l’interroge :
– Vous faite déjà, dans vos feuilletons, des plaisanteries sur les cabinets – et j’en passe et des meilleures. Combien de temps faudra-t-il encore pour que vous estimiez qu’il n’y a aucun problème à montrer quelqu’un en train de chier, du moment qu’une hyène dans le public trouve ça tordant ?
– Je ne pense pas que quiconque ait envie de voir quelqu’un en train de chier à l’antenne, objecta Dennis.
– Pour l’instant. Mais ce jour viendra, prenez-en bonne note. C’est évident. Et je le combattrai jusqu’à mon dernier souffle.
Nick Hornby souligne clairement aujourd’hui la prostitution du divertissement à l’audimat. Le populaire est devenu vulgaire et dire le contraire, ou s’en offusquer, c’est être un vieux crouton. Ne pas rire aux plaisanteries salaces ou autres jeux de mots obscènes, c’est être coincé ; rire à plus subtil, c’est être intello, ce qui ne vaut guère mieux. Ce qu’on veut nous faire croire, c’est que le remède à une vie qui serait stressante à tous égards, c’est le divertissement. Déstresser : le grand mot d’ordre… C’est un peu comme si Le Lay avait gagné : le temps de cerveau disponible se remplit de rire, de rien. La culture de masse est devenue débilitante, à de rares exceptions près. Nick Hornby, chantre depuis toujours de la culture populaire, le constate.
… le divertissement avait pris le contrôle du monde, et Sophie n’était pas certaine que le monde fût devenu meilleur pour autant.
Nick Hornby sur Tête de lecture
Funny Girl
Nick Hornby traduit de l’anglais par Christine Barbaste
Stock, 2015
ISBN : 978-2-234-07922-9 – 417 pages – 23 €
Funny Girl, parution en Grande-Bretagne : 2014
Vous avez encore un métro d’avance sur moi, je suis en train de lire ce roman qui à première vue, me semble montrer un Nick Hornby différent…?
Disons qu’on le sent toujours aussi attaché à la culture populaire, aux gens en marge. Et il a toujours un don formidable pour les dialogues.
Là où je trouve qu’il a changé, c’est dans le regard qu’il porte sur l’industrie du divertissement. Pas le regard premier : les séries dont il parle, il les aime visiblement. Mais un regard en biais qui part d’aujourd’hui : qu’est-ce que ces divertissements sont devenus aujourd’hui. Le passage qui m’a particulièrement marquée est donc celui d’où est tiré la première citation (p. 198) : le vieux critique qui radote (à première vue) demande à tous ces divertisseurs jusqu’où ils sont prêts à aller pour divertir. On le voit aujourd’hui : jusqu’à la vulgarité la plus basse, du moment que ça fait rire…
Hum, j’aime l’auteur et je sens que j’aimerais le lire, ce roman là.
(psst, je vais peut-être t’occasionner des cheveux arrachés et une nuit écourtée, mais (sur mon ordi, donc vérifie quand même ailleurs!) la bande à gauche (facebook et le reste) empiète un peu sur le texte. Ou alors tu restreins la colonne texte d’une ou deux unités? On arrive à lire quand même, ne t’inquiète pas, mais comme je sais que tu adores bidouiller. Et qu’on te signale les choses.(je suis par ailleurs à deux doigts de signaler à une blogueuse que j’en ai marre du blanc sur fond noir, je me retiens encore)
Hum, j’étais sûre que ça viendrait de toi 🙂 tu dois avoir un ordi du XXe siècle… j’ai essayé sur plein d’écrans, quatre PC + 2 smartphones en fait et sur aucun la barre n’empiète, il y a même plusieurs millimètres pour certains écrans entre la barre et le texte… Mais j’imagine que si tu le vois comme ça, d’autres aussi. Je vais rebidouiller quand j’aurai un peu de temps. D’ici là, tu peux faire disparaître cette barre grâce à la flèche en dessous.
Bon, et je raloche mais merci car tu as raison : ça m’aide à faire mieux de connaître le ressenti des visiteurs et j’aime que tout soit propre et facilement navigable (sans avoir à cliquer sur 50 trucs).
Perso, ma bête noire du moment : les formulaires d’inscription à des newsletters qui s’ouvrent quand on est en train de lire. C’est super à la mode et hyper intrusif : je déteste !
Jamais vu sur, les blogs en tout cas,de formulaires à des newletters qui arrivent sans crier gare (et heureusement!^_^)
La petite flèche : oui, ça fonctionne bien.
Mon ordi date de janvier 2012. Vieux déjà… Je pourrais bidouiller l’écran en allant dans les paramètres, remarque!
J’ai beaucoup aimé Nick Hornby dans ma jeunesse, mais je trouvais qu’il s’était un peu essoufflé ces derniers temps…tant mieux si ce roman vaut la peine d’être lu!
Eh bien rassure-toi : Nick Hornby n’est pas à bout de souffle ! Et si Juliet Nacked était un peu tristouille, celui-ci renoue clairement avec une veine plus humoristique.
le sujet m’intéresse, je ne connaissais pas cet auteur, je me fais toujours une réflexion à propos des téléréalité, leur succès ne vient que du fait que le public les regarde , et si le public ne les regardait plus?
c’est si facile de vivre sans cette télé! je pense qu’avec Internet on n’est pas loin de vivre la fin d’une certaine télé pour aller vers une autre forme de divertissement pas forcément meilleur mais différente.
La série en question m’a fait penser à « Ma Sorcière bien aimée » : le bon temps de la télé à papa, bien aseptisée…
Moi non plus je n’ai pas la télé et je le vis merveilleusement bien : je choisis ce que je veux regarder et quand. Et si je ne vois pas une série en même temps que tout le monde, j’arrive à surmonter 🙂
Luocine, de ma vie, de toute ma longue vie, je n’ai jamais vu un seul épisode d’aucune série de télé-réalité. C’est tout ce que je déteste à la télé comme dans la vie : l’étalage vulgaire d’individus sans intérêt…
Avec Internet oui, le choix est plus vaste, on a l’impression d’avoir plus la main, d’être aux manettes mais combien de fois sursaute-t-on après trop de temps passé à regarder du vide en se disant : déjà une heure que je suis derrière l’écran !? Ça nous bouffe aussi, plus insidieusement…
J’ai aimé tout ce que j’ai lu de lui, je note celui-ci. (et chez moi la bande n’empiète pas sur le texte, à moins que tu n’aies déjà bidouillé !)
non, pas encore bidouillé : merci pour ce retour 😉
J’ai adoré ce roman, qui « éclabousse » par son pep’s une rentrée littéraire très nombriliste. Nick Hornby est un de mes auteurs préférés (l’amour doit rendre aveugle, je ne vois même pas quand il a une baisse de forme…)
C’est vrai qu’on peut compter sur tous ces auteurs étrangers pour nous emmener loin, loin d’eux-mêmes et de nous. Et quand ils parlent d’eux, ils le font d’un point de vue si universel qu’ils nous parlent aussi de nous. Une baisse de forme Hornby ? Pas remarqué non plus, disons que son précédent roman sortant un peu de son registre habituel…
J’ai très envie de le lire aussi et évidemment, ton billet entretient la tentation 😉
celui-là était dans ma liste de départ et je ne suis pas déçue.
Il est dans ma liste à lire. C’est un auteur que j’ai aimé et moins aimé. Ce roman tranchera sur l’avis que je me fais de lui!
Il n’est plus dans le registre « ado attardé » si sympathique de loin (je veux dire surtout pas à la maison l’ado attardé !). Mais même vieillissant, il conserve cette énergie communicative et surtout un sens des dialogues vraiment très efficace.
Je ne voulais pas le lire, j’avais été déçue, mais comme je lis ce que tu en dis, je ne vais plus l’écarter définitivement, peut-être alors …
J’espère que d’autres billets te feront définitivement changer d’avis…
Je n’avais pas encore noté ce titre dans ma liste à lire, le sujet du divertissement télévisuel ne me disant trop rien, mais ton avis m’empêche de l’écarter. De plus, je n’ai jamais été déçue avec les trois ou quatre romans de l’auteur que j’ai lus.
Parenthèse technique : la barre de gauche me cache aussi quelques millimètres de texte et de commentaires. (sous Firefox)
Alors je ne pense pas que tu seras déçue par celui-là.
Et merci pour la précision.
J’aurais plutôt envie de lire autre chose que des réflexions sur la société du spectacle.
C’est autre chose : la réflexion est juste un bonus stimulant, on n’est pas obligé de penser 🙂
Je me le suis offert le week-end passé. Pas encore commencé mais je me réjouis. Je n’ai jamais lu cet auteur, sauf son scénario de « An education »
Un film que je n’ai pas vu mais puisque Nick Honby est au scénario, il faut que je mette la main dessus.
Le film est très bien !
J’aime assez Nick Hornby mais ce titre ne me tente pas plus que ça.
Dommage, je n’ai pas su te convaincre. C’est un roman moins « adolescent » mais tout à fait intéressant.