Au revoir là-haut de Lemaitre et de Metter

Au revoir là-haut de Lemaitre et De MetterLà voilà enfin l’adaptation du grand roman de Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut. Avec l’auteur lui-même au scénario (c’est aussi lui qui lit la version audio du roman) et le talentueux Christian de Metter au dessin, on ne pouvait douter du résultat. Pourtant, pourtant… si d’une certaine façon, le dessin enrichit le texte, le format bande dessinée amoindrit la densité psychologique des formidables personnages de Pierre Lemaitre.

Soulignons d’emblée que cette adaptation accomplit l’exploit de faire entrer l’intrigue de ce foisonnant roman dans 168 pages : le sauvetage d’Albert par Edouard dans les tranchées, l’hôpital, la morphine, l’arnaque aux monuments aux morts, les magouilles liées à la reconstruction… Le contexte de l’immédiat après-guerre, si essentiel dans le roman, est aussi restitué même si la précarité des anciens combattants est ici moins mise en évidence. On passe vite, vraiment vite sur le contexte social (la très longue démobilisation, les revendications des anciens combattants, la volonté des famille de récupérer leurs morts…) qui pèse sur les deux héros sans travail ni revenus.  C’est à Péricourt père et à Pradelle que Lemaitre et de Metter choisissent d’accorder le plus d’importance. De fait, le trafic autour de la récupération des cadavres et les marchés publics frauduleux sont explicites.

Ce qui m’a particulièrement manqué, c’est l’humour qui dans le roman passe beaucoup par l’ironie de Pierre Lemaitre. La phrase d’ouverture, entendue prononcée par l’auteur lui-même plusieurs semaines avant la parution du roman, je ne l’ai pas oubliée :

Ceux qui pensaient que la guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre justement.

L’ironie est absente de la bande dessinée et le ton globalement grave. On retrouve quelques pointes d’humour grâce à l’apparition ici et là de la mère du soldat Maillard qui récrimine contre son bon-à-rien de fils, mais c’est bien peu. Et puis il y a Merlin. Ah Merlin ! Quelle tristesse de le voir réduit à quelques pages, lui si complexe, passionnant, méchamment drôle. Et comment comprendre tout le sel de la tentative de corruption en si peu de cases ?

Pierre Lemaitre et Christian de Metter se montrent avant tout fidèles à l’intrigue. Excellente intrigue d’ailleurs, même si la fin est toujours trop incroyable. Mais pour moi, Au revoir là-haut c’est surtout un ton (que je n’ai pas retrouvé), un contexte historique fouillé (restitué ici a minima) et des personnages complexes et humains que le dessin sensible de de Metter restitue dans une certaine mesure. Quelques traits et contrastes se substituent aux mots choisis pour exprimer toute la richesse d’une personnalité. Exercice difficile que résout en maître de Metter.  Il y a peu de décors et d’arrière-plans, on se focalise sur les visages et leurs expressions : ils disent la détresse, la joie, la peur…

On comprendra que j’ai eu beaucoup de mal à me défaire de ma lecture d’Au revoir là-haut en lisant cette adaptation. Certainement parce que je l’ai beaucoup appréciée, parce que ce roman m’a à la fois réjouie, instruite et accompagnée lors d’autres lectures autour de la Première Guerre mondiale. J’ai cependant apprécié le trait de de Metter qui peint par exemple avec beaucoup de douceur le visage fracassé d’Edouard : il n’a plus de mâchoire inférieure et semble pourtant parfois sourire… Et puis cet Albert a parfois quelque chose de Pierre Lemaitre lui-même, non ?

Pierre Lemaitre et Christian de Metter sur Tête de lecture

Au revoir là-haut

Pierre Lemaitre (scénario) et Christian de Metter (dessin)
Rue de Sèvres, 2015
ISBN : 978-2-36981-199-2 – 168 pages – 22,50 €

36 commentaires sur “Au revoir là-haut de Lemaitre et de Metter

  1. Voilà exactement pourquoi je ne suis pas tentée par cette bande dessinée. L’auteur a bien fait de prendre les commandes du scénario, mais il reste difficile pour un lecteur heureux de l’œuvre originale d’être satisfait d’une histoire plus rapide, et forcément tronquée sur certains aspects.

    1. Je ne suis pas scénariste, mais je crois qu’il aurait été possible de garder quelque chose du ton général. L’ironie est absente, le ton est grave, ce qui convient bien sûr au sujet mais qui n’est pas le roman. L’adaptation concerne en fait l’intrigue.

  2. je vais commencé par le roman que j’ai trouvé en poche , avec une couverture horiblissime, on ne devrait pas avoir le droit de faire des couvertures pareilles , pauvre auteur!

    1. Je suis d’accord avec toi : quand j’ai vu la couverture du format poche, je me suis demandé ce qu’il fallait comprendre à ce… truc. Tout juste si je ne l’ai pas retournée pour voir si on comprenait mieux à l’envers !

  3. j’avais beaucoup aimé le roman, effectivement ton avis est beaucoup moins enthousiaste que la plupart des billets que j’ai pu lire jusque là, mais les dessins ont l’air vraiment très beaux, je suis curieuse de voir ce que cette histoire peut donner avec le parti pris BD

    1. Oh oui, j’aime beaucoup de Metter et j’ai quasi sauté de joie quand j’ai appris que c’est lui qui dessinait l’adaptation. Son dessin est parfait, rien à redire, j’aime beaucoup l’humanité de ses visages et les jeux d’ombres et de lumières.

  4. J’ai lu et beaucoup aimé cette adaptation. Sans avoir lu le roman, c’est vrai, mais je compte bien y remédier. Je trouve que le travail fait par les deux auteurs est admirable, le côté très visuel du roman a l’air magnifiquement bien restitué.

    1. Je pense aussi que je l’aurais plus appréciée si je n’avais pas lu li livre. Mais je ne peux pas l’oublier en lisant la BD, et surtout pas le ton qui en fait la saveur…

  5. Tu confirmes ce que je pressentais à la lecture d’autres commentaires (effectivement, souvent de blogueurs qui n’ont pas lu le livre) …. Il manque l’humour, c’est-à-dire ce que j’avais particulièrement aimé dans ce roman, le contexte de l’après-guerre aussi vu du côté de la lorgnette satirique de Lemaître. Donc, je la lirai sans doute cette bande dessinée, mais juste par curiosité pour le dessin qui a l’air très pertinent.

  6. Pour moi qui n’ai pas lu le roman, cette BD est vraiment excellente, certes, pas d’humour, plutôt du lourd… Mais résumer un roman de 600 pages à une BD de 4 fois moins de pages est un exercice difficle

    1. Je suis désormais bien curieuse de lire ou d’entendre les avis de lecteurs ayant beaucoup apprécié le roman. Oui, très curieuse…

  7. Ah, enfin quelqu’un qui a lu le roman. Ton point de vue est très intéressant et beaucoup plus riche que celui des personnes qui se sont contentés de la BD (dont je fais partie). Du coup tu me donnes très envie de le lire, ce roman !

    1. Je serais vraiment très contente de donner ainsi la dernière impulsion pour ouvrir le roman. Moi je le relirai, c’est certain, en attendant une probable suite annoncée par Lemaitre.

  8. Je l’ai achetée samedi, et le dealer de BD a hâte de savoir ce que j’en pense, justement parce que je lui ai dit avoir adoré le livre… Ton avis ne me refroidit pas, il confirme juste mes craintes.
    J’ai déjà commencé par hurler en voyant la couverture…

    1. Je suis certaine qu’il va te plaire, cet humour-là te correspond, je pense. Tu as de la chance de ne pas l’avoir encore lu, moi, je le relirai !

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