Deux remords de Claude Monet de Michel Bernard

Deux remords de Claude MonetAprès une évocation poétique et sensible de Maurice Ravel, Michel Bernard s’intéresse au peintre Claude Monet. Il ne s’agit pas d’une biographie romancée, même si la vie du plus célèbre des impressionnistes est largement racontée. Il est ici d’abord envisagé à travers sa relation avec Frédéric Bazille, peintre et ami de jeunesse, mort durant la guerre de 1870. Puis c’est Camille, sa première femme qui sert de prisme à la narration. Dans une troisième partie, Monet devenu vieux à Giverny fait don de ses Nymphéas à l’État et souhaite que son tableau Femmes au jardin soit exposé au Louvre : il est un lien entre les deux disparus tant aimés.

Lire Deux remords de Claude Monet c’est retrouver le plaisir unique de lire Michel Bernard, un auteur au style poétique et élégant. Aucune voix ne s’élève dans ce roman, aucun dialogue, mais le récit n’en est pas moins vivant. Il ne fait aucun doute que Michel Bernard se trouvait aux côtés de Camille Monet lors de sa dernière promenade dans Vétheuil enneigé, en décembre 1878. Il semble murmurer à l’oreille du lecteur une mélodie qui donne à voir décors et personnages.

Les tableaux évoqués ne sont pas inutilement décrits : tout le monde les connaît (quatre sont reproduits pleine page dans le livre). Michel Bernard met en scène leur contexte de réalisation et surtout les émotions qui leur ont donné vie, s’immisçant dans le mystérieux processus de création. Il raconte l’amitié de Monet, Renoir, Manet, Bazille et bien sûr le grand amour porté à Camille, maintes fois représentée. Mais aussi la pauvreté du peintre qui d’abord ne vend pas, puis la nécessité de peindre pour soutenir un train de vie dispendieux une fois la célébrité acquise. Raconter Monet c’est aussi dire les bouleversements d’une vie à travers deux guerres et des paysages radicalement transformés par l’industrialisation.

La plume légère de Michel Bernard épouse l’impressionnisme : sa sensibilité artistique donne aux scènes du quotidien une grande puissance d’évocation. Il représente moins qu’il ne donne à voir l’environnement familier du peintre à différentes époques.

Pendant les premiers jours, il respira l’air des environs au cours de longues promenades, en tirant sur sa pipe. Il s’arrêtait pour en vider la cendre contre son talon et restait là, à bourrer de tabac le fourneau tiède, avec des gestes précis et machinaux, le regard dans le vague. Tout était frais et vif dans ce printemps hollandais, nouveau et en même temps familier. Gonflées par la bouche d’un dieu amical, les couleurs des voiles accrochées aux bras des moulins tournaient tranquillement. Les bateaux glissaient au ras des rives et l’on entendait les mariniers s’interpeller, se prévenir en paroles rudes et brèves. Les champs de la mer prolongeaient ceux de la terre, à l’infini.

Un livre de Michel Bernard se lit lentement de façon à savourer le rythme des phrases et de laisser aux mots le temps de faire surgir images et émotions. Le plaisir est grand à écouter cette prose légère et discrète qui s’impose comme unique puisqu’elle réussit à faire surgir la peinture.

Michel Bernard sur Tête de lecture

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Deux remords de Claude Monet

Michel Bernard
La Table Ronde (Vermillon), 2016
ISBN : 978-2-7103-8070-2 – 210 pages – 20 €

27 commentaires sur “Deux remords de Claude Monet de Michel Bernard

    1. Non seulement le sujet te plaira, mais tu vas beaucoup beaucoup aimer le style, j’en suis certaine : ce livre sera ton livre de la rentrée 😉

  1. Mon coup de cœur de la rentrée littéraire ! J’ai découvert l’auteur avec ce titre et j’ai hâte de lire celui sur Ravel. Je n’ai rien à ajouter de plus car tout est dit dans ton excellente critique 🙂

    1. Merci Gaëlle. J’ai été séduite la première fois et donc je ne pouvais pas rater ce roman-là. Je n’ai pas une grande culture picturale, mais Michel Bernard permet aux lecteurs de pénétrer des univers et d’y évoluer en confiance. Le Ravel devrait aussi te plaire.

      1. Je suis d’accord avec toi Sandrine. Avec les mots de Michel Bernard, j’ai eu l’impression de voir apparaître par petites touches une magnifique toile sous mes yeux. Il fait vivre la peinture même pour ceux qui n’en sont pas féru.

  2. C’est déjà toi qui m’a fait découvrir « les forêts de Ravel » donc bien sûr que je lirai ce livre . Merci de faire le tri pour moi du fourmillement de nouveaux livres de la rentrée.

    1. Ah oui, elle fourmille cette rentrée, et j’essaie d’aller d’abord vers des livres qui me plaisent. Je donne pas mal dans le sombre, le roman noir, mais voilà, Michel Bernard est une belle exception.

  3. S’il ne me fallait noter qu’un titre de la rentrée, ce serait celui-ci ! Je n’ai pas encore lu celui sur Ravel mais ça ne semble pas grave du tout 😉

    1. J’espère qu’on entendra beaucoup parler de ce livre, qu’il ne sera pas noyé dans le trop immense flot des parutions de la rentrée. Il suffit parfois qu’un ou deux journaliste influents s’en mêlent pour qu’il sorte du lot…

    1. Comme j’ai beaucoup aimé le précédent, je n’ai pas hésité à faire de ce titre une de mes priorités de la rentrée, et je n’ai pas été déçue !

    1. Ah oui ? Il a un style tout à fait particulier. Généralement, je me méfie comme de la peste des auteurs dont on dit qu’ils ont un style poétique : très souvent, je trouve ça ampoulé, grandiloquent et pas poétique du tout (il faut préciser que je ne suis pas sensible à la poésie). Mais la musicalité et la légèreté de Michel Bernard m’ont tout à fait conquise…

    1. Alors celui-ci te plaira sans aucun doute. Michel Bernard décrit la création artistique comme je ne pensais pas que c’était possible. Imagine ce qu’un mauvais auteur aurait pu faire en décrivant un tableau ou un peintre peignant… ça peut être terrible. Ce livre-là est juste d’une incroyable légèreté.

  4. Je ne connais pas du tout cet auteur, mais j’aime bien ce que tu en dis, qu’il est certain qu’il marchait aux côtés de Monet… J’ai tout de suite pensé à Aifelle : ce livre a tout pour lui plaire !

  5. Je crois que j’ai fait une overdose de Monet. Il ne me touche plus, il a même tendance à m’agacer. J’ai l’impression qu’il est partout (et c’est sans doute mérité). Donc je vais me contenter d’avoir lu ton billet.

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