
A l’âge de douze ans, David Berthier, narrateur de ce premier roman de Paul Baldenberger, a été violé par un inconnu dans un parking souterrain. L’homme s’arrête au bord de la route où le jeune garçon attend l’arrivée de la belle Nina. Il pointe sur lui un pistolet qui le convainc de monter dans la voiture, côté passager, à la place du mort.
C’est trente ans après que David fait le récit des quelques trois heures passées avec cet homme, dans sa Peugeot bleue. Trois heures durant lesquelles un réflexe de survie lui fait tout accepter, sans rébellion, dans un processus qu’on a par ailleurs décrit comme le syndrome de Stockholm. Il pense qu’en se soumettant, il aura la vie sauve. Ou plutôt il le pressent car il n’est pas en état de réfléchir. Il se sent en danger sans bien savoir ce qu’il risque ni même ce que veut cet homme. Il a douze ans en 1984.
Paul Baldenberger choisit une narration chaotique qui sans cesse reporte le récit du viol lui-même. Ainsi entretient-il la tension narrative et l’intérêt malsain du lecteur. Cette construction permet également à l’auteur de brosser le portrait d’un David quarantenaire à travers l’évocation de nombreux épisodes de sa vie familiale, amoureuse et sexuelle. A l’évidence, il n’est pas devenu à son tour un maniaque sexuel. Il n’a pas non plus infligé à ses partenaires des pratiques violentes et à l’inverse ne s’est pas détourné de toute sexualité.
Au contraire, le narrateur semble épanoui, psychologiquement et socialement. Ce que ce récit lui permet, c’est de dessiner un parcours personnel passant du traumatisme à la vie. En prenant place dans cette voiture, il s’assoit à la place qui est la sienne : il est l’enfant que ses parents ont engendré suite à la mort de leur fils de sept ans. David est donc en vie à la place du mort, autant dire qu’il n’existe pas par lui-même. Première négation existentielle à laquelle s’ajoute celle du viol : il est l’objet du désir contre-nature d’un homme qui nie en lui l’enfant. De ces deux négations sort un adolescent puis un adulte affirmé, indépendant, avide. Comme en mathématiques le produit de deux négatifs est positif.
A travers les différents épisodes évoqués, David cherche moins des séquelles que des traces laissées par le viol. Il ne se dit pas victime. Il assume l’acte qui le laisse en vie, bien que transformé. Et choisit de l’écrire plutôt que de le dire car l’écriture permet le retour sur celui qu’il était pendant ces trois heures et la compréhension, peut-être.
Autant les descriptions des faits et gestes sont souvent précises et distantes, autant les plongées dans la tête du David de douze ans sont émouvantes. Ainsi le David de quarante ans tend-il la main à celui de douze, en réconciliation, comme une partie de lui définitivement assumée et reconnue.
A la place du mort est donc un récit troublant, tant les enfants victimes d’abus sexuels sont d’abord perçus comme des victimes, des êtres fragilisés voire détruits. Si David développe suite au viol un certain sentiment de culpabilité, celui-ci n’entrave pas ses résultats scolaires (c’est un brillant élève), ses relations sociales ni même son épanouissement sexuel. Il construit pour ses parents et autrui un mensonge acceptable de l’événement, qui lui permet d’enfouir sa honte et de continuer à vivre, probablement aidé par des thérapies rapidement évoquées.
On découvre sur le net que Paul Baldenberger est un pseudonyme et que ce roman est inspiré de faits réels, ce qui le transforme en témoignage d’autant plus troublant et bouleversant.
A la place du mort
Paul Baldenberger
Éditions des Équateurs, 2016
ISBN : 978-2-84990-448-0 – 187 pages – 18 €
Une écriture chaotique ? Bof. A voir, si il croise ma route.
Pas l’écriture mais la narration : elle n’est pas chronologique, revient sur des souvenirs, comme si elle évitait d’en venir au récit principal.
Moi qui cherche pour cette rentrée des romans moins durs que l’année dernière, je crois que c’est raté avec celui là !
J’ai lu beaucoup de romans tout à fait tragiques en cette rentrée… tu ne vas pas trouver ton bonheur ici 😦
Ce livre m’interpelle, d’autant plus qu’il s’agit d’un premier roman. Son côté « introspection », sur un sujet aussi douloureux, m’attire. Je me le note !
En fait, c’est le premier roman de Paul Baldenberger mais c’et un pseudo et du coup, je ne suis pas certaine que ce soit un premier roman… je pense que l’auteur a déjà écrit d’autres romans sous un autre nom…
Une belle découverte lors des mes errances estivales chez les libraires
J’espère qu’il y en aura d’autres 😉