Des hommes de peu de foi de Nickolas Butler

Des hommes de peu de foi de Nickolas ButlerLa couverture du deuxième roman de Nickolas Butler est assez effrayante : qui a envie de lire plus de cinq cents pages sur les scouts, qui ? Pas moi. Par contre, séduite par Retour à Little Wing, j’avais envie de retrouver l’univers de cet auteur chaleureux, qui tranche avec la production américaine actuelle. Il ne donne pas dans le roman noir qu’on apprécie tant de notre côté de l’Atlantique, pas de désespoir, pas de dénonciation, pas de white trash. Pas du feel good book non plus, ouf, mais quelque chose de plus subtil, sur le fil ténu entre bons sentiments et roman social.

Des scouts donc. Des scouts et encore des scouts… ça en fait beaucoup. Mais à travers six décennies, Nickolas Butler s’intéresse à l’évolution de certaines valeurs comme la loyauté, le courage, la fidélité aux principes, l’amour filial. Autant de vieilles lanternes qui peinent à faire un bon roman aujourd’hui. Et pourtant…

Des hommes de peu de foi se découpe en trois périodes : 1962, 1996, 2019. Nelson en est le fil conducteur. Il a treize ans en 1962 quand il passe une semaine au camp scout de Chippewa, dont il est en quelque sorte le fleuron. Wilbur, le responsable du camp est fier de ce gamin honnête, loyal, franc : l’incarnation même du scout. Mais Nelson n’a pas d’amis. Pour sa fête d’anniversaire, seul Jonathan Quick fait le déplacement, et encore, pour seulement vingt-cinq minutes. Nelson est le souffre-douleur du camp, celui qu’on moque et qu’on maltraite. Et le jour où il faut descendre dans la fosse à merde, c’est lui qu’on désigne.

En 1996, Nelson n’est plus le personnage principal. On suit plus particulièrement Jonathan et son fils Trevor âgé de seize ans. Celui-ci ne jure que par sa petite amie Rachel : il l’aime, veut l’épouser. Il est jeune, optimiste, plein de certitudes et d’illusions que son père s’emploie à détruire. Au nom de sa clairvoyance de vieux schnock, Jonathan veut faire comprend à Trevor qu’il a l’âge de profiter de la vie, de faire mille expériences plutôt que de s’engager. Il décide d’emmener son fils à un dîner où seront présents sa maîtresse et son vieil ami Nelson, revenu du Vietnam.

En 2019, Nelson est un vieil homme, responsable du camp scout. Il vit comme un ours, ou peu s’en faut, mais reste ami avec Rachel et son fils Thomas. Lequel, malheureux comme les pierres, passe une semaine au camp en compagnie de sa mère. Car oui, les choses ont changé depuis 1962 : il y a des femmes scout aujourd’hui, et internet et le téléphone portable à tous les étages. Autant de choses qui signent la fin des soirées au coin du feu, des ateliers orientation… la fin d’un monde.

Qu’on se rassure, ça n’est pas pour nous dire que tout fout le camp que Nickolas Butler signe Des hommes de peu de foi. Il se trouve juste sur la brèche entre la nostalgie béate et le discours réactionnaire. Butler évite le regard moralisant. Le scoutisme n’est clairement pas un idéal, plutôt même une école d’intolérance : jamais Nelson enfant n’y trouve sa place. Pour Thomas, l’ado version 2019, c’est pire :

C’est juste une espèce de fraternité chrétienne débile. Une bande de républicains paranos armés jusqu’aux dents en attendant l’apocalypse.

Fachos, homophobes et misogynes. Nickolas Butler aurait pu tomber dans la dénonciation radicale. Sauf que Nelson n’est ni facho, ni homophobe et surtout pas misogyne. Encore une fois, les personnages sont supérieurs au message s’il en est. Ils sont tout en nuances et en contradictions. S’ils cherchent indéniablement à bien faire à la base, ils prennent souvent de mauvais chemins, les chemins de la vie qui de dilemmes en petites trahisons nous éloignent de celui ou celle qu’on voudrait être.  Au final, que reste-t-il de celui ou celle qu’on voulait devenir ?

Etre « fiable, loyal, serviable, aimable, courtois, bon, obéissant, économe, courageux, propre et respectueux » est-ce que c’est être un homme bien ? Est-ce que ça suffit pour vivre en société ? Cet idéal de principe est-il viable ? A l’échelle d’un pays comme l’Amérique, on comprend que les optimistes pèchent par naïveté, qu’ils ne peuvent que périr, abandonner ou se radicaliser. Sauf Nelson qui choisit d’être lui et de ne pas entrer dans le cirque du monde.

S’il fallait trouver une morale à ce roman, elle serait à chercher du côté du refus des communautés ou des mouvements censés former un individu. Les valeurs ne s’inculquent pas, pas plus via le scoutisme qu’à force d’être rabâchées par un adulte omniscient. Chaque individu a un potentiel que ni parents ni institutions ne doivent modeler, mais bien écouter et accompagner. On retrouve là le Nickolas Butler généreux et optimiste, aux romans profondément humanistes.

Nickolas Butler sur Tête de lecture

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Des hommes de peu de foi

Nickolas Butler traduit de l’anglais par Mireille Vignol
Autrement, 2016
ISBN : 978-2-7467-4418-9 – 535 pages – 23 €

The Hearts of Men, à paraître en 2017 aux États-Unis

39 commentaires sur “Des hommes de peu de foi de Nickolas Butler

    1. J’ai préféré le précédent, pour le sujet, mais les personnages sont toujours aussi vivants et incarnés : c’est vraiment une des forces de l’auteur.

    1. Intéressant et surtout inattendu : c’est gonflé d’écrire un roman sur les scouts, ou au moins avec beaucoup de scouts dedans, et en plus d’en coller un aussi déterminé sur la couverture !

      1. Ne me tente pas… (je vais voir si la bibli de S l’a)
        Actuellement je suis dans Une singularité nue, TB, mais plus de 800 pages et je devrai faire une pause dans les pavés. J’ai lu le egloff et le toussaint Louverture, démarré Radar, mais quand même il y a du lourd à l’horizon. Bah d’ici octobre on verra. En tout cas je t’en rendrai.

    1. Je trouve qu’il tranche avec la production américaine actuelle, la littérature blanche j’entends. Il choisit des sujets casse-gueule mais parvient sans problème à ne pas donner dans la mièvrerie.

    1. Je l’étais aussi, bien qu’un peu refroidie par la couverture. Il y a eu un recueil de nouvelles entre les deux romans, mais je ne l’ai pas lu, j’ai un peu de mal avec ce genre.

  1. Le scoutisme, hmmmm. Même première impression que toi mais ta critique me convaincra sans doute à lire le roman.
    Etonnant quand même ces livres qui sortent d’abord en français…

    1. J’imagine que comme bien d’autres écrivains américains, Nickolas Butler aime beaucoup la France (qui le lui rend bien !). Peut-être même l’aime-t-il plus que les autres au point de publier d’abord son roman chez nous. Du coup, je me demande si la version qui sera publiée aux États-Unis sera celle traduite ici ou si le texte change encore…

    1. Tiens, je croyais que son premier roman avait été plus lu que ça sur la blogosphère littéraire… N’hésite pas en tout cas, tu passeras un très bon moment.

  2. Tu me donnes très envie de me jeter illico dans ce bouquin, en réserve dans la liseuse pour une lecture prochaine de cet auteur découvert avec Retour à Little Wings

    1. Ça me fait plaisir que tu reviennes commenter ici, ça faisait longtemps (si, si : janvier 2016, ça fait longtemps…). Toujours sur le pont pour la littérature américaine donc… si tu vas à America en septembre, j’espère qu’on s’y rencontrera.

      1. Silencieux pendant six mois, peut-être, mais fidèle à chacun de tes rendez-vous, n’en doute pas 😉
        Il est vrai que la littérature américaine, voire anglo-saxonne, accapare l’essentiel des mes lectures, ce que j’apprécie forcément et regrette à la fois, puisque le temps n’étant pas indéfiniment extensible cela me coupe d’autres horizons littéraires.
        Pour autant, le festival America se passera encore de moi cette année. Même si aux côtés des « familiers » (Fromm, McBride, McCann, Powers), il y de prometteurs « petits nouveaux » qui seront sans doute très intéressants à écouter (Abbott, Cooper, Hallberg, James, Poissant…).

  3. j’avais un avis mitigé sur Retour à Little Wing, mais j’avais beaucoup aimé son recueil de nouvelles, et je vais lire celui-ci – il sera à l’affiche du Bibliomaniacs d’Octobre.

    1. Je comprend que Retour à Little Wing puisse ne pas emballer. Je me souviens qu’en lisant, surtout en rédigeant mon billet, je me disais que c’était juste une histoire d’amitié, une énième histoire d’amitié, sujet banal, mais quelle façon de la raconter ! C’était un peu un pari d’expliquer aux gens comment un sujet aussi bateau et fade pouvait donner un roman si fort…
      J’espère que celui-ci te plaira plus.

  4. Ah,là,là. Une belle chronique Sandrine mais…J’avais trouvé le premier roman particulièrement niaiseux avec cette rock star(Justin Vernon leader du groupe Bon Iver a fréquenté les mêmes bancs d’école que l’auteur) qui réglait tous les problèmes de ses potes bouseux avec un chéquier, ses nouvelles étaient aussi quand même très pâles mais là les scouts.Je crois que j’en ai terminé avec Butler. Et cette couverture qui fait penser aux romans de la série du « prince Eric » dans la très ancienne collection Signe de piste de Serge Dalens,de son vivant président de la Commission de discipline et secrétaire de la Commission Justice et Sécurité du Front National.
    En fait je n’aime pas les scouts.

    1. Oui, je me fustige moi-même en pensant aux sujets des romans de Nickolas Butler… alors disons qu’il est ma faute de goût 😀

  5. Bon à mon tour : j’ai lu une partie de son précédent roman (retour à …) et je l’ai trouvé .bof bof bof. bref je me suis ennuyée ! je l’ai lâché assez vite. Il me faisait penser à certains téléfilms américains, le retour du héros dans la petite ville, l’amour pour la femme de son copain .. Et oui, j’assume : je préfère les romans plus sombres, plus noirs ou alors le nature writing.
    Par contre, j’ai acheté ses nouvelles car c’est un genre que j’apprécie et en anglais car parfois je me surprends à penser que la traduction a pu orienter mon avis.
    Pour celui-ci, j’ai un souci avec ce type de camps – quand je vivais aux USA, mon ex m’avait emmené dans le camp où il avait passé ses étés et j’ai vraiment cru que j’allais hurler en les écoutant parler autour du feu. On est parti comme des sauvages en pleine nuit…. donc 600 pages …

    1. Rien que d’accepter la soirée scout, c’est énorme : tu devais être bien amoureuse 🙂 Je jure cependant solennellement ici que Nickolas Butler ne fait pas l’apologie du scoutisme, pas du tout. Mais je comprends aussi qu’à la vue de l’uniforme, bien des lecteurs s’enfuient…

      1. Merci ! oui c’était traumatisant et les Américains, quand on vit là-bas, ont une culture bien différente – en France, on ne s’épanche pas ainsi enfin c’était bizarre. Mais bon, je veux toujours lire ses nouvelles 😉

  6. Je suis partagée, j’aime bien ces romans qui se déroulent à des époques différentes, mais tu résumes bien mon ressenti, qui voudrait lire 500 pages sur les scout???

  7. Bonjour Sandrine, comme je n’ai pas aimé le roman précédent de Nickolas Butler (je m’étais ennuyée, l’histoire ne m’avait pas intéressée), je ne lirai pas celui-ci. Désolé. Bonne fin d’après-midi.

    1. J’imagine en effet bien qu’après une déception, on n’a pas envie de replonger avec un même auteur surtout pour un belle brique…

    1. Non, et je m’en veux car cet auteur est inscrit sur ma liste des 50 états, qui ne progresse pas du tout… je visite cependant, mais pas avec les livres retenus, c’est tout moi 😉

    1. Ils s’imposent et continuent d’évoluer dans notre esprit bien après lecture : ils sont vraiment d’une grande force d’évocation et positifs malgré leurs plaies et bosses, ce qui est rare dans la bonne littérature américaine.

  8. Ton billet sur Retour à Little Wings m’avait bien tenté et j’ai toujours assez envie de découvrir l’auteur. Mais mais mais, les commentaires postés ici sur ce premier roman ne sont pas tous très encourageants et bon les scouts et moi, bof bof. Vu les tentations de la rentrée, on va dire que je ne vais pas en faire une priorité. Et j’adore, Butler, ta faute de goût, j’espère que tu ne lui diras pas au Festival America ^_^

    1. Il n’y est pas cette année. Il y était il y a deux ans, je l’ai eu sur un débat et c’est avec beaucoup de plaisir que je lui ai posé des questions. Il est aussi zen et sympathique que je l’imaginais 😉

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