La Rage de Zygmunt Miłoszewski

La rage de Zygmunt MiłoszewskiJ’achève la lecture de La Rage de Zygmunt Miłoszewski entre enthousiasme débordant et déception : enthousiasme car cet opus est aussi bon, voire meilleur, que le déjà excellent Un Fond de vérité ; déception car cette enquête du procureur Teodore Szacki est la dernière. Dommage, vraiment dommage, ce grincheux me manque déjà…

Vous qui n’avez pas encore découvert Zygmunt Miłoszewski (je vous plains), sachez qu’il n’est pas nécessaire, narrativement parlant, de lire les deux autres opus avant d’ouvrir La Rage. Par contre, vous y perdriez beaucoup en tant que lecteurs car cette série est très réussie. Et je m’en vais vous expliquer pourquoi ce dernier tome est un coup de coeur.

Teodore Szacki (prononcez Chatski) est désormais en poste à Olsztyn, ville touristique connue pour ses onze lacs mais pour lui, une ville au moins aussi riante que l’était Sandomierz. De toute façon, vues à travers les yeux de ce procureur, toutes les villes sont grises et moroses, même Venise serait un trou à rats puant. C’est qu’avec l’âge, son caractère ne s’améliore pas : toujours aussi froid et distant, tout sauf sympathique et tiré à quatre épingles dans ses costards anglais qui, pour son malheur, l’ont fait élire homme le plus sexy de l’année par un magazine féminin. C’est bien simple, ce « misanthrope sociopathe grognon » aurait tout du serial killer s’il n’était procureur… Cependant il lit Pierre Lemaitre : on ne peut pas avoir que des mauvais côtés…

La vie de procureur à Olsztyn est une vraie sinécure, tout ce que fuit ce procureur consciencieux. Et ce n’est pas la découverte d’un squelette dans un sous-sol du centre ville qui le sortira de son ennui… Et pourtant. Le squelette n’est pas celui d’un cadavre oublié là depuis trente ans comme les premières constatations le laissent penser. Le docteur Frankenstein n’a aucun mal à établir que la victime est morte depuis une semaine et que son corps a subi une décomposition accélérée. Elle est facilement identifiée grâce à une opération récente : il s’agit d’un voyagiste dont la femme ne s’inquiète même pas encore de la disparition. Les choses vont se compliquer quand il sera établi que tous les os du squelette n’appartiennent pas au même individu…

Teodore Szacki travaille sur cette enquête avec un procureur stagiaire, Edmund Falk, son quasi clone. Le jeune homme l’admire et son inflexibilité est au moins aussi légendaire que la sienne. Cependant, un jour que Szacki traite avec bien trop de légèreté une femme venue exprimer sa crainte face au comportement de son mari, Falk menace Szacki de blâme. C’est que Szacki a en effet renvoyé la dame dans ses pénates et que quelques heures après, c’est lui qui la trouve entre la vie et la mort sur le carrelage de sa cuisine.

Il était question dans Les Impliqués des rapports difficiles de la Pologne avec son passé communiste. Dans Un Fond de vérité des tabous liés aujourd’hui encore à l’antisémitisme polonais. La Rage s’intéresse aux violences faites aux femmes. Ce qui est particulièrement remarquable ici, c’est l’absence de cliché. On ne croise pas de gros macho sûr de lui qui tabasse sa moitié après une bonne cuite à la vodka. Quantité d’hommes évoluent dans La Rage et aucun n’a de profil stéréotypé. Teodore Szacki se trouve bien sûr au premier plan et n’est pas concerné par le problème… C’est un homme moderne, conscient des sévices infligés aux femmes dans le cadre domestique. Il n’a lui-même jamais levé la main sur personne, ni sur son ex-femme, ni sur sa fille de seize ans qui pourtant l’énerve parfois au plus haut point, ni sur Zenia, l’agréable jeune femme qui partage désormais sa vie. Le procureur aime les femmes et les respecte. Bonne conscience. Oui mais.
Il ne débarrasse pas sa table de petit déjeuner car il travaille lui, tandis que Zenia reste à la maison (pour travailler), elle a tout le temps ; il part en vrille et fulmine quand il rentre un mardi soir et que sa fille n’a pas fait la cuisine (c’est sa seule contrainte domestique) ; et on se souvient du goujat qu’il était dans le volume précédent. Comme tous les mâles de la planète, Teodore Szacki vit sur des schémas inconscients hérités de siècles de domination masculine.

Si La rage commence doucement, secouant l’ennui du procureur Szacki, bientôt cette intrigue impeccable empoigne le lecteur. C’est que cet homme bien trop sûr de lui se retrouve dans une situation très délicate professionnellement, et bientôt personnellement. Et il a beau être cynique et désagréable au possible, on ne lui souhaite pas autant de malheur.

Comme pour les titres précédents, ce roman de Zygmunt Miłoszewski a une portée qui dépasse largement le cadre de l’intrigue policière. Ce qui n’en fait pas pour autant un roman démonstratif. Car Zygmunt Miłoszewski n’oublie jamais l’humour, plus exactement le cynisme, élément constitutif du procureur Szacki. On sourit bien souvent aux descriptions de cet atrabilaire qui voit la vie en gris. On imagine aisément que les responsables du tourisme du chef lieu de la  voïvodie de Varmie-Mazurie goûtent moins cet humour-là.

Depuis la guerre, cette ville a été constamment enlaidie, détruite et transformée en une espèce de caniveau architectural et urbanistique.

Olsztyn est un délire urbanistique, où les bâtiments les plus laids poussent inconsidérément et où la circulation automobile est un cauchemar. De toute façon, « la Pologne est moche« , affirme Szacki. L’auteur s’excuse bien sûr en fin de roman de tous les propos de son « rouspeteur varsovien sarcastique« …

Saluons les éditions Fleuve qui après deux Szacki aux éditions Mirobole ne nous ont pas laissés en plan et ont repris le flambeau. Ouf. Brillante idée de continuer à confier la traduction à Kamil Barbarski qui restitue pour nous depuis le premier tome l’humour si particulier de Teodore Szacki et nous permet de lire Zygmunt Miłoszewski dans une unité de style.

Zygmunt Miłoszewski sur Tête de lecture

.

La rage

Zygmunt Miłoszewski traduit du polonais par Kamil Barbarski
Fleuve Éditions (Fleuve Noir), 2016
ISBN : 978-2-265-1162-1 – 538 pages – 21,90 €

26 commentaires sur “La Rage de Zygmunt Miłoszewski

  1. J’ai beaucoup aimé les deux premiers, pas de raison que je n’aime pas celui-là aussi ! Je me demande pourquoi il n’est plus édité chez Mirobole. Question de gros sous ?

    1. Mirobole a connu une scission : l’une des fondatrices est partie et a fondé avec d’autres personnes la maison d’édition qui porte son nom, Agullo. J’imagine qu’il a dû y avoir des ajustements à ce moment-là…

  2. Pour le changement d’éditeurs, il me semble qu’il y a une histoire de sous outre la scission (mais finalement, on garde Mirobole et on gagne Agullo, très bien aussi)… Je n’ai lu que les deux premiers, je lirais bien ce dernier (sniff)…

  3. Triste que ce soit le dernier, j’ai beaucoup aimé les deux premiers tomes! et je regrette un peu que ce tome ne soit pas publié par Mirobole, j’adorais le design!

    1. C’est vrai : les couvertures de Mirobole sont uniques et toujours très originales. C’est quand même bien qu’on ait la fin de la série. Et tu verras, une suite est difficilement envisageable…

  4. J’adore lire qu’il est meilleur que le précédent, que j’avais moins aimé que les impliqués. Parce que j’ai bien l’intention de lire ce dernier volume de ce procureur qui me plait beaucoup !

    1. D’autant plus qu’on visite la Pologne puisqu’il change à chaque tome d’affectation. Ceci dit, si avant lecture on avait envie d’y aller en vacances, ça calme…

  5. J’ai lu le premier et beaucoup apprécié cette absence de clichés que tu indiques. Le deuxième est dans ma PAL et j’avoue avoir hésité sur ce troisième à cause du changement de maison d’éditions (ça m’agace). Mais bon, vu mon envie de continuer à suivre ce procureur… je vais finir par craquer.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s