Une forêt d’arbres creux d’Antoine Choplin

une forêt d'arbres creuxNouveau roman sur Terezin (Theresienstadt, au nord de Prague), ce camp si particulier où furent enfermés de nombreux artistes. Une forêt d’arbres creux s’attache aux pas de l’artiste Bedrich Fritta (1906-1944) qui arrive au camp en décembre 1941 avec femme et enfant. Il n’en sortira, comme beaucoup, que dans un convoi pour Auschwitz.

Dès son arrivée, il supervise le bureau des dessins. Certains de ceux qui y travaillent sont architectes, d’autres peintres, tous savent tenir un crayon et sont désormais chargés de dessiner les plans d’un crématorium. Chaque jour ils travaillent à leur destruction, à leur chute dans l’oubli.

Le court texte d’Antoine Choplin relève de l’impressionnisme. Pas de récit, aucun détail ni dates précises, quelques repères temporels et des silhouettes ébauchées. Deux grands événements ont inspiré les écrivains qui ont écrit sur ce camp : la représentation du requiem de Verdi devant Eichmann (qu’on lit dans Le requiem de Terezin de Josef Bor) et la visite de la Croix-Rouge internationale en juin 1944 (sujet par exemple de Terezin Plage du Danois Morten Brask). Ils sont évoqués dans Une forêt d’arbres creux sans qu’ils en soient la trame principale.

Le fil narratif conducteur, s’il fallait en trouver un, serait les dessins officieux faits par les membres du bureau. On les cache puis on tente de les faire sortir du camp via le marchand d’art Leo Strass,  pour témoigner de la vraie réalité, autre que celle mise en scène pour la Croix-Rouge. Bedrich dessine aussi pour son fils.

Antoine Choplin est très avare de détails. Il faut effectuer soi-même une recherche pour découvrir que Bedrich Fritta était un caricaturiste tchèque et que certains de ses dessins ont été retrouvés après la guerre, à Terezin par Léo Haas, autre personnage du roman qui lui a survécu à Auschwitz. L’écrivain choisit de ne pas décrire la violence et la mort mais de les évoquer. Si le lecteur de romans historiques scrupuleusement documentés se sentira peut-être perdu à cette lecture, il trouvera de plus dans la gravité des mots et la discrétion du style une retenue qui frise l’austérité.

Comme Bedrich Fritta suggère dans ses dessins le terrible destin des prisonniers de Terezin, Antoine Choplin esquisse plus qu’il ne donne à voir. On a tous en nous des images des camps qui surgissent à la lecture de ce texte parfois trop sobre : elles pallient l’absence de descriptions mais peinent à rendre compte de la spécificité de Terezin. Est-ce par pudeur qu’Antoine Choplin n’embrasse pas les tourments de son personnage ? Par respect devant un tel destin ? S’il explicite l’engagement par l’art, il esquive trop systématiquement le quotidien pour que son texte me touche vraiment.

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Une forêt d’arbres creux

Antoine Choplin
La Fosse aux Ours, 2015
ISBN : 978-2-35707-065-3 – 115 pages – 16 €

36 commentaires sur “Une forêt d’arbres creux d’Antoine Choplin

  1. Bon, je reste sur l’excellent Une île, une forteresse, qui n’est pas un roman. Mais sous une apparence neutre laisse passer des trucs incroyables, allez, un dont je n’ai pas parlé dans mon billet, le gamin qui revient des camps et que l’on met dans une chambre d’hôpital tout seul à son retour. Pourquoi? Alors que les places sont rares quand même? Réponse : 15 ans, 15 kg.

  2. C’est justement cette sobriété qui me plaît chez Antoine Choplin. Mon point de vue est peut-être faussé par le fait que j’ai beaucoup lu sur le sujet depuis de nombreuses années (toi aussi sûrement), mais tu te places plutôt du point de vue de ceux qui découvriraient. (j’ai terminé un Antoine Choplin pour l’éditeur du mois, il me reste à faire le billet).

    1. Je découvre en effet Antoine Choplin avec ce roman. Je m’attendais à un texte assez sobre en effet, mais j’ai trouvé que c’était plus que ça, enfin à mon goût, car le peu de mots doit être responsable du fait que je suis restée très à l’extérieur de ce texte. Je dois avoir besoin de plus de psychologie, je pense…

    1. J’avoue avoir du mal à trouver ma place dans ce genre de texte. La narration reste au niveau de l’observation, sans empathie, je trouve ça assez froid et lointain. Ceci dit, j’ai généralement assez de mal avec les textes courts : il me faut des mots, des mots, des mots 😉

  3. Je l’avais lu juste après un autre livre sur Terezin, donc j’ai eu l’impression que les deux se complétaient …

    Si tu n’as rien lu d’autre de Choplin, je te conseille « L’impasse », sobre aussi certes, mais sur un épisode plus « mince ».

    En reprenant mes notes sur Choplin, je vois que j’en ai lu cinq et que en effet celui de 2015 est celui que j’ai noté le plus « sévèrement » (c’est très relatif…)

    1. merci pour ce conseil. Je vais d’abord me remettre de cette lecture-ci, mais à l’occasion je pourrais relire un texte de l’auteur.

  4. sa sobriété l’a emporté un peu trop loin je trouve, sur ce genre de récit ne donner aucune information est trop minimaliste à mon goût
    j’ai le souvenir d’une expo des dessins des enfants de Terezin vue à Varsovie il y a des lustres j’ai encore les dessins dans la tête

    1. C’est étonnant à quel point un texte peut susciter des réactions si diverses. Je savais que celui-ci avait été bien apprécié de nombreux blogueurs, jusqu’au coup de coeur pour nombre d’entre eux justement en raison de sa sobriété mais finalement, pour les mêmes raisons, certains sont restés à la porte.

  5. J’ai terminé mon billet aujourd’hui alors que la lecture datait de deux semaines… J’ai souvent besoin de digérer ainsi. Le texte est très fort lorsqu’on le lit, justement parce qu’il laisse des horreurs dans l’ombre, qu’il s’attache au quotidien. Mais c’est mon ressenti et je comprends que tout le monde ne le ressente pas de la même façon.

    1. Merci pour cette participation, Kathel. Pour ma part, plus le temps passe et plus j’ai du mal à écrire mes chroniques : il me faut le feu de la lecture pour mieux avoir tout à l’esprit et synthétiser. Mais il est vrai que mon ressenti peut varier et que certains textes agissent dans la durée….

  6. je viens de me promener chez Kathel et je vois donc que tu nuances son propos , j en’ai lu qu’un livre de;lui j’en lirai volontiers un deuxième, car j’aime son style, mais peut-être pas celui-là!

    1. Il y en a un récent, sorti à la rentrée de janvier je crois, qui a l’air d’enchanter ceux qui apprécient déjà Antoine Choplin.

  7. C’est intéressant de lire le billet de Kathel et le tien en parallèle. Ca me donne en tous cas envie de découvrir l’auteur, peut-être avec un autre texte pour commencer. J’imagine qu’il a voulu éviter de tomber le documentaire ou cette mode de la biographie romancée. Peut-être qu’il aurait juste fallu une petite postface pédagogique ou comme tu dis des illustrations. Mais j’ai aussi un Fosse aux ours sous le coude et je ne sais pas si le tien est pareil, mais le mien a pour illustration de couverture une sorte d’autocollant (en plus le mien a été mal collé avec une pliure qui attire l’attention et fait un peu travail d’amateur ou en tous cas de petit éditeur aux moyens modestes).

    1. Il est certain que La Fosse aux Ours est un petit éditeur aux moyens modestes. Après, les objets-livres m’ont toujours semblé de bonne qualité, voire de très bonne. Je les trouve plutôt élégants (pas d’illustrations de couverture autocollantes), mais peut-être es-tu malheureusement tombée sur un livre en mauvais état…

  8. J’ai découvert Antoine Choplin avec ce texte mais il paraît qu’il y en a de meilleurs comme Le héron de Guernica. Je comprends que tu ne sois pas touchée et je ne suis pas sûre que les autres te plairaient.

  9. Je vais faire un rapprochement très hasardeux et pas trs bon. Comme dans un film où pour ne pas montrer une scène de cul, le cameraman montre la fenêtre ouverte, Choplin n’explicite pas et je trouve que c’en est que plus fort.

  10. j’ai découvert l’auteur avec cet ouvrage, et j’ai beaucoup aimé son écriture, que j’ai trouvée tout en justesse et retenue. Effectivement cela manque de contexte et de détails, mais ça ne m’a pas gênée pendant ma lecture, peut-être aussi parce que j’ai déjà lu plusieurs livres et articles sur Terezin.

    1. Si tu n’as pas lu le livre de Morten Brask, je te le conseille vivement. C’est là que j’ai beaucoup appris sur ce camp et notamment sur le statut des juifs danois.

      1. Bon, je ne te conseillerai plus de livres sur la Seconde Guerre mondiale parce que même les danois, tu les as lus 🙂

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