Les francophones ont découvert, éblouis, Richard Wagamese avec Les étoiles s’éteignent à l’aube. C’est aux éditions Zoé que nous devions cette première traduction, quelques mois avant le décès de l’auteur en mars 2017. La maison suisse romande poursuit sa découverte de ce Canadien d’origine ojibwé avec Jeu blanc qui touche encore par la sobriété dramatique. Il est question de Saul Indian Horse, jeune Indien enlevé à sa famille pour être « élevé » dans un pensionnat catholique, sous l’impulsion du gouvernement canadien. C’est par le hockey sur glace qu’il va échapper à cet enfer sur terre.
C’est à l’âge de huit ans que Saul entre à la St. Jerome Indian Residential School. Sa grand-mère a tout fait pour éviter qu’il soit arraché à sa famille, à la terre, mais elle est morte de froid en le protégeant jusqu’à son dernier souffle. Comme son père et sa mère avant lui, comme sa soeur qui n’est jamais revenue et comme son frère qui y a attrapé la tuberculose, Saul découvre les brimades, les humiliations, les coups et les châtiments qui sont le lot quotidien de l’institution. Battus, mal nourris et malades, les enfants dépérissent, certains même se suicident. Car ils sont aussi les objets sexuels des prêtres et religieuses qui doivent les guider sur la voie de Dieu.
A St.Jerome’s, j’ai vu des enfants mourir du tuberculose, de grippe, de pneumonie et de coeur brisé. J’ai vu des jeunes garçons et des filles mourir debout sur leurs deux pieds. J’ai vu des fugitifs qu’on ramenait, raides comme des planches à cause du gel. J’ai vu des corps pendus à de fines cordes fixées aux poutres. J’ai vu des poignets entaillés et les cataractes de sang sur le sol de la salle de bain, et une fois, un jeune garçon empalé sur les dents d’une fourche qu’il s’était enfoncé dans le corps.
Si le séjour de Saul à St. Jerome’s est central parce qu’il construit un épisode traumatique, l’essentiel du récit autour de la passion de Saul pour le hockey. Encore gamin, le père Boutilier, nouvel arrivé au pensionnat, met sur pied une équipe. Saul est encore trop petit et trop jeune pour jouer, mais il entretient la patinoire et bientôt s’entraîne en secret. Quand un jour il manque un joueur, il est prêt à le remplacer.
C’est grâce au hockey qu’il va quitter St. Jerome’s à quatorze ans pour aller vivre chez les Kelly, des anciens du pensionnat dont le mari a monté une équipe de hockeyeurs autochtones, les Moose. Son talent pour ce sport s’affirme et il devient toujours meilleur. Tellement bon que son équipe est appelée à jouer contre des Blancs. C’est alors qu’il comprend que le hockey est un jeu blanc.
Nous arrivâmes dans ces villes en hockeyeurs espérant disputer un match honnête, crosse à crosse, de bout en bout, juste et équitable. Mais ils ne nous virent jamais autrement que comme des Indiens. Ils ne virent jamais rien d’autre que des visages à la peau mate alors qu’ils auraient dû être blancs. Nous n’étions pas les bienvenus parmi eux. Et quand nous gagnions, les choses devenaient encore pires.
Jeu blanc est tout de rage et d’émotions contenues. Il traduit l’impuissance de Saul et de tout un peuple condamné dès la naissance. Par les pensionnats, les Blancs tentent d’arracher l’indianité en eux, de leur faire renier leurs origines. Mais ils les portent sur eux et rien ne peut changer le regard des Blancs, même pas l’excellence. Le lecteur frémit devant la cruauté des châtiments infligés aux enfants au nom de l’assimilation. Il était déjà question de ces tristes établissements dans Le vent en parle encore de Michel Jean. Ici le texte est d’autant plus puissant que le style dépouillé de tout pathos reste sobre. L’émotion surgit, nul besoin de la stimuler. Saul s’applique à tenir loin de lui ses souvenirs qu’il évoque avec une distance confinant parfois à la froideur.
Les nombreux passages sur le hockey sont assez complexes, malgré les quelques mots en fin de volume qui explicitent les enjeux de ce sport. Difficile de se les imaginer quand on n’y connaît rien. Ce qui est par contre tout à fait perceptible, c’est la volonté de Saul, sa force et sa détermination. Il en veut, même s’il ne sait pas pourquoi, il en veut et il va loin, le plus loin possible pour un Indien. Ce qui n’est pas encore assez loin de St. Jerome’s qui lui colle à l’âme.
Pendant des décennies le gouvernement canadien a arraché de jeunes enfants à leur famille au nom de l’intégration et de l’éducation ; nombreux sont ceux qui y furent exploités. Ces enfants n’ont eu de cesse, comme Saul, d’oublier ces épisodes traumatiques, de les enfouir au plus profond d’eux-mêmes pour ne pas céder à la mort ou à la folie. Mais en refoulant une partie de sa vie, personne ne peut vivre debout : humiliés, ces enfants devenus adultes vivront toujours courbés. En plus de vivre dans un monde qui ne veulent pas d’eux, ces Indiens doivent accepter l’image dégradée que les Blancs ont d’eux et vivre avec l’humiliation. Plutôt que l’oubli et le silence, Saul choisit de parler pour se libérer, relever la tête et sortir de cet autre enfer qu’il s’est lui-même construit : l’alcool. Parler, écrire, témoigner, extérioriser le Mal.
Jeu blanc est le parcours d’un homme qui se reconstruit malgré tout, se raconte avec pudeur, tenant les émotions à distance.
Richard Wagamese sur Tête de lecture
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Jeu blanc
Richard Wagamese traduit de l’anglais par Christine Raguet
Zoé, 2017
ISBN : 978-2-88927-460-4 – 253 pages – 20,90 €
Indian Horse, première parution au Canada : 2014
Je lirai ce livre même si je sais déjà que j’aurai le ventre noué et la révolte dans le cœur pendant toute la lecture.
Je sens un peu moins d’enthousiasme que pour Les Etoiles s’éteignent à l’aube, que j’ai lu il y a peu (mon billet devrait paraître d’ici une à deux semaines) et énormément aimé, mais tu donnes tout de même envie de le lire.
C’est le hockey qui a un peu pesé…
Je fais parti des francophones qui n’ont pas été éblouis (es) par les étoiles s’éteignant à l’aube, vu que je n’ai pas lu ce titre, mais je veux bien faire partie des futures lectrices de cet auteur qui a l’air très intéressant. Il y a un titre de Louise Erdrich qui traite de ce sujet des pensionnats, Ce qui dévoré nos coeurs, ou Der rapport sur les miracles … Je viens de relire les deux quatrièmes, mais j’ai quand même la mémoire qui flanche entre les deux …
J’ai déjà tenté Louise Erdrich sans beaucoup de succès, mais puisque ce thème m’intéresse, je vais aller voir ça : merci pour les références.
Il était plus que temps que l’histoire des pensionnats soient connus – le procès a été public et on trouve les témoignages sur internet (et ça fend le coeur) peut-être peut-on enfin espérer la vérité, la réconciliation et un vivre ensemble qui ne soit pas miné par l’ignorance, les préjugés et le diable sait quoi encore 😦 je ne connaissais pas l’auteur, un grand merci à toi
C’est grâce au roman de Michel Jean que j’ai découvert l’ampleur de cet embrigadement et sa cruauté. C’est en fait Karine la Québécoise qui m’en a parlé au dernier festival America et m’a conseillé cette lecture. C’est bien qu’il y ait des romans sur le sujet et qu’on en parle.
Je viens de me procurer Les étoiles s’éteignent à l’aube, j’espère être aussi enthousiaste que toi!
J’espère aussi que tu vas l’aimer !
Je comptais l’acheter ce soir en sortant du boulot, tu ne me feras pas changer d’avis, bien au contraire 🙂
C’est toujours triste la disparition d’un bon écrivain. Heureusement que l’on découvre certains romans posthumes.
Pour ma fille qui va partir au Canada. Important de connaître aussi certains pans de l’histoire
Tout à fait d’accord, d’autant plus que l’histoire officielle aurait tendance à passer ça sous silence.
Je viens de commander le précédent, je sens que je vais reculer devant la dureté du sujet pour celui-ci. Le problème est dans ce cas je n’ai pas la possibilité de me dire « non mais c’est de la fiction tout va bien ».
Non, tout ne va pas bien 😦
encore un auteur que je découvre grâce à toi! Je note!
Je l’ai acheté ; je vais essayer de le lire pour le mois Zoé, mais ça se bouscule beaucoup en ce moment chez moi ..