Un amour impossible de Christine Angot

Un amour impossible est le premier roman de Christine Angot que je lis. Elle en a écrit plus d’une vingtaine, il était temps. J’avais toutes sortes de préventions, notamment sur l’autofiction qui est loin d’être mon genre favori. Pourquoi m’intéresser à la vie de Christine Angot ? Eh bien c’est en la lisant que j’ai pu répondre à cette question.

Le début fut assez laborieux. Rachel rencontre Pierre à Châteauroux. Ils s’aiment. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne ressent pas l’intensité de la passion. Christine Angot aligne les phrases les unes derrière les autres, c’est d’une grande froideur. J’ai bien failli lâcher l’affaire ; j’aurais eu tort. Car le plus intéressant n’est pas la passion amoureuse mais le rapport de domination qui s’établit dès le début de la relation.

Pierre est socialement plus élevé que Rachel. Il est plus riche, plus cultivé et se sent plus intelligent. C’est lui qui décide. Il décide qu’il ne l’épousera jamais (ce serait déchoir) mais faire un enfant lui convient s’il n’a pas à le reconnaître. Rachel accepte. Christine naît en 1959 à Châteauroux. Rachel l’élève seule sans rien demander au père ni jamais se manifester. De temps en temps Pierre refait surface, il écrit des lettres qui permettent de laisser Rachel dans l’espérance. Un jour il lui annonce qu’il s’est marié. Elle le chasse mais quand il revient des années plus tard, elle lui ouvre à nouveau la porte, et son lit. En tout Christine enfant l’a vu trois ou quatre fois. Mais toujours la mère a fait l’éloge du père auprès d’elle.

Puis à l’adolescence, les rapports pourtant fusionnels entre la mère et la fille se font plus tendus alors le père se fait bien plus présent. Christine l’admire : il est tellement intelligent, cultivé. Elle passe plus de temps avec lui.

Ce que tout lecteur ou non lecteur d’Angot sait, l’inceste paternel, n’est pas raconté dans ce roman. Christine va mal, elle ne dit rien à sa mère qui pense que ce malaise est dû à l’adolescence. Ce n’est qu’un personnage secondaire qui lui annonce que sa fille se fait violer par son père. Puis le récit continue, comme si la révélation était anodine.

C’est qu’en fait, Un amour impossible traite de la relation de la narratrice avec sa mère, pas de l’inceste avec le père. C’est le portrait d’une mère, d’une mère juive, qui a tout supporté de celui qu’elle n’a pas cessé d’aimer et de sa fille. C’est une mère magnifique, aimante, apaisante. Christine est parfois très dure avec elle mais elle ne semble jamais lui en vouloir. C’est à elle qu’elle en veut, elle qui n’a pas vu ce qui se passait.

C’est très beau mais aussi scandaleux. Car cette femme, on a envie de la secouer, de lui crier de se déchaîner, c’est-à-dire de briser les chaînes dont son amant l’a entourées et qu’elle a ensuite consolidées. Oui elle lui était socialement inférieure mais elle a accepté que cette infériorité sociale devienne une soumission intellectuelle et constitutive de leur relation. Elle l’a accepté d’une part par amour mais certainement aussi par déterminisme social : elle est inférieure, car femme, car pauvre, car juive. C’est lui qui décide, c’est comme ça.

Après lecture d’Un amour impossible, je peux donc répondre à la question : pourquoi m’intéresser à la vie de Christine Angot ? Eh bien parce que la relation décrite va au-delà de celle entre Christine Angot et sa mère. Peu m’importe que Rachel Schwartz soit sa mère : elle est pour moi une inconnue, un personnage. Dans une vie fantasmée, j’aurais aimé avoir une mère comme elle.

Au delà des noms cités, Un amour impossible est aussi l’histoire de la domination d’un homme sur une femme et de la soumission de celle-ci. L’un va avec l’autre car lui ne l’aurait pas choisie si elle avait été forte et sûre d’elle. Et après avoir humilié cette femme qui l’aime aveuglément, il humilie sa fille qui elle aussi l’adore. Cet homme-là a besoin de dominer les femmes pour se sentir pleinement homme.

Ce livre-là je ne l’ai pas lu, je l’ai écouté. J’audiolis de plus en plus, ce qui me permet de faire plusieurs choses à la fois. Et comme je suis parfois un peu inattentive, je n’avais pas compris avant de rédiger cette chronique que c’était Christine Angot elle-même qui lisait son texte. Comme dans son écriture, il n’y a guère d’émotions dans sa voix.

Enfin, je pense que le titre de ce livre comporte une troublante polysémie. Je pensais avant de l’ouvrir et n’en sachant rien qu’il désignait l’amour impossible d’un père pour sa fille. Puis parvenue à la toute fin, j’ai pensé qu’il désignait l’impossibilité que Christine adulte a à exprimer son amour à sa mère. Elle l’aime mais il y a désormais beaucoup de choses entre elles. Au final, j’ai compris que le titre renvoyait à l’amour impossible entre Rachel et Pierre, sans doute.

 

Un amour impossible

Christine Angot
Flammarion, 2015
ISBN : 9782081289178 – 224 pages – 18 €

 

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10 commentaires sur “Un amour impossible de Christine Angot

  1. J’ai apprécié te lire et je sens que ce roman est riche… mais j’ai développé une forme d’allergie à l’autrice, je dis rarement ça mais je ne pourrai pas lire un de ses romans…

    1. C’est dommage. C’est vrai que son personnage médiatique est assez désagréable, c’est sans doute ça qui m’a empêché de la lire pendant toutes ces années. Mais ce qu’elle écrit sur sa mère est vraiment très beau et touchant.

  2. Je crois l’avoir entendue à la radio il y a peu, sur quel sujet j’ignore, mais c’était fort intéressant. Mes préventions peuvent s’effacer, finalement (car j’n ai)

    1. C’est parfois difficile d’aller au-delà de certaines appréhensions et c’est parfois aussi difficile de dissocier un auteur de ce qu’il écrit, surtout dans le cas d’autofictions.

  3. Comme toi, ce titre est le premier que j’ai lu de cette autrice. Il sera sans doute le seul, tant son personnage médiatique me sort par les yeux, et les oreilles … Et pourtant, comme toi, j’ai aimé ce titre, essentiellement pour la figure maternelle., si bien restituée dans une problématique sociale.

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