La mort de Belle de Georges Simenon

Spencer Ashby est un homme comme les autres, un Américain sans histoires. La quarantaine, prof dans l’établissement où il était élève et qu’il n’a donc jamais quitté, marié à Christine qu’il n’aime pas vraiment, mais qu’il ne déteste pas non plus. Ils cohabitent, ça se passe bien. Spencer est plutôt solitaire alors que Christine se sent appartenir à une communauté. Ce soir-là quand elle l’appelle pour qu’il vienne faire un bridge avec des amis, il dit non, il préfère rester seul à la maison avec son tour à bois. La mort de Belle surgit dans la vie de cet homme banal, tout en routines et habitudes et va la bouleverser. Mais est-ce que ça existe vraiment, un homme sans histoires ?

Spencer corrige des copies, sculpte un pied de lampe puis va se coucher. La jeune Belle, fille d’une amie de sa femme, est rentrée pendant qu’il oeuvrait au tour, il n’a pas entendu ce qu’elle lui a dit. Il n’a pas entendu sa femme rentrer non plus. Le lendemain il se lève, prend son petit déjeuner puis part travailler. À peine arrivé, il doit rentrer : sa femme le demande de toute urgence. Le coroner est déjà sur place quand il rejoint son domicile. Il lui montre le corps de la jeune fille, étranglée dans sa chambre. Elle a été tuée alors lui, Spencer Ashby, était seul dans la maison.

Le lecteur est dans la tête de Spencer qui essaie de comprendre mais devient paranoïaque. À juste titre puisque le directeur de son établissement lui demande de ne plus venir en classe avant que cette histoire ne soit éclaircie… puisqu’il reçoit des coups de fils anonymes. Il est suspect mais on ne l’arrête pas. D’ailleurs, il ne sort plus de chez lui, tourne en rond. Et surtout, il se remet en question. Le passé lui revient alors que sa vie rangée la lui avait fait oublier. Il s’interroge sur son mariage, sur sa place dans la communauté.

La mort de Belle fait partie des « romans durs » de Georges Simenon, ceux sans Maigret. Il y a enquête mais elle n’est pas le sujet. Ce qui intéresse ici Simenon c’est l’homme en crise, celui dont l’univers lentement fabriqué bascule parce que la mort et la violence entrent dans sa vie. N’est-on pas en train de l’épier ? Ne parle-t-on pas de lui derrière son dos ? Y-a-t-il encore quelqu’un pour le soutenir ? Tous ces gens qu’il croyait connaître depuis tant d’années le croient-ils coupable ?

Spencer Ashby, homme de routine sans grand intérêt vit une aventure intérieure intense suite au drame qui s’est déroulé dans son foyer, au coeur même de son quotidien. Simenon raconte cette violence et ses conséquences extrêmes. Plutôt que de résister, Spencer ne devrait-il pas ressembler à ce qu’on attend de lui ?

Spencer Ashby était terne, il devient détestable. Simenon ne donne pas d’explications psychologiques mais fournit des éléments pour comprendre la dérive du personnage. Manque d’affection (parents absents), sexualité inexistante, complexe d’infériorité, incapacité à éprouver des sentiments, mise à l’écart progressive du corps social. Les conséquences de la mort de Belle sous son toit font exploser sa routine et son moi social. Le refoulé remonte à la surface puis explose.

Est-ce la vraie personnalité de Spencer Ashby qui apparaît au final ? Est-ce le coeur du véritable Spencer Ashby que l’on contemple une fois effeuillées les couches de conventions et de frustrations ?

J’ai écouté ce livre lu par François Marthouret. Sa voix profonde fixe les mots de Simenon. La solitude de Spencer Ashby est presque palpable, plus humaine. Il donne au personnage un surcroît d’humanité. Le texte est moins monotone et le destin fatal de Spencer Ashby plus intense. Il n’en est pas pour autant plus américain que vous et moi.

Georges Simenon sur Tête de lecture

 

La mort de Belle

Georges Simenon
Le Livre de poche, 1999 (première édition : 1952)
ISBN : 9782253142225 – 187 pages – 6,20 €

 

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13 commentaires sur “La mort de Belle de Georges Simenon

  1. J’ai découvert Simenon sur le tard (il y a 3 ans), en commençant par ses premiers « romans durs » (je m’étais mis en tête de lire une anthologie de son œuvre en 25 volumes, et euh, comment dire.. ??!). J’ai beaucoup aimé La fenêtre des Rouet et Au bout du rouleau.
    J’attends le Mois belge, en avril, pour lire L’affaire St Fiacre et Le chien jaune, trouvés chez un bouquiniste (j’ai envie de les lire, et si je dois attendre d’arriver aux volumes de l’anthologie qui les incluent, j’en ai pour au moins 20 ans !).
    Et je note celui-là, la dimension « torturée » me tente bien !

    1. Il y a pas mal de gens torturés dans les romans de Simenon me semble-t-il… en tout cas un de temps en temps, écouté quasi d’une traite, ça me convient bien et surtout comme tu le dis, il y a vraiment l’embarras du choix : cet homme a beaucoup écrit !

  2. J’ai lu beaucoup de Simenon quand j’étais jeune, et quelques uns sans Maigret, toujours plus durs que les autres. Celui d’aujourd’hui ne m’évoque aucun souvenir, mais comme tu le dis il a tellement écrit que je suis loin d’avoir tout lu.

  3. L’aspect psychologique semble primordial dans ce roman. Tu en parle très bien, je trouve. Pour ma part, je n’ai lu que quelques Maigret et bien apprécié l’ambiance de ces polars.

  4. J’aime beaucoup Simenon, avec ou sans Maigret. Cet auteur est parfois considéré comme désuet, sans doute à cause des adaptations télévisées de son oeuvre, qui datent et lissent les problématiques humaines souvent très sombres et très dures. Comme ingannmic, j’ai lu quelques titres d’une anthologie à l’occasion du mois belge ( dont le très troublant « La fenêtre des Rouet), j’y reviendrai sûrement et le titre que tu proposes me tente d’ailleurs beaucoup.

    1. Il y a longtemps, j’ai lu « La neige était sale ». Je me souviens que la scène d’ouverture (ou peu s’en faut) m’avait troublée voire dérangée mais je ne sais plus pourquoi. Je relirai sans doute ce texte car plus j’avance en âge et plus j’apprécie Simenon.

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