L’oeuvre de Dieu, la part du Diable de John Irving

Le docteur Wilbur Larch, héros de John Irving, est médecin à l’orphelinat de Saint Cloud’s, état du Maine, dans les années 1920. Les femmes viennent y accoucher et abandonner leur bébé ; elles y viennent aussi avorter, en toute clandestinité mais aussi en toute sécurité car le docteur Larch est un expert en la matière. Assisté de nurse Edna et nurse Angela, il est décidé à offrir aux femmes le choix d’avoir ou non un enfant. Il y a beaucoup d’enfants à Saint Cloud’s et si certains sont adoptés, d’autres s’y sentent si bien que tous les essais d’adoption se soldent par des échecs. C’est le cas de Homer Wells qui en grandissant, apprend la médecine avec Larch, en particulier l’obstétrique (l’œuvre de Dieu) et l’avortement (la part du Diable). Il devient bientôt aussi doué que son maître qui souhaite qu’il lui succède.

Arrivent un jour à Saint Cloud’s Wally et Candy, un jeune couple non marié dont la jeune femme est enceinte et vient avorter. Homer tombe amoureux de Candy et se prend d’amitié pour Wally. Il les suit, pour l’été, sur leur plantation de pommes de Ocean View. Mais le séjour se prolonge, Homer ne rentre pas, il ne veut pas devenir médecin et surtout pas pratiquer d’avortements. Bientôt, l’Amérique déclare la guerre au Japon et Wally s’enrôle dans l’aviation. Son avion est porté disparu et lui tenu pour mort. Homer et Candy s’aiment, elle tombe bientôt enceinte.

Dire qu’il s’agit là d’un grand roman romanesque pourrait sembler redondant et pourtant… bien des romans le sont très peu, nombreux sont ceux qui n’ont pas le souffle et l’ampleur de ce sixième roman de John Irving.
Les personnages sont au premier plan de cette histoire, si simple, si ordinaire, et qui atteint pourtant des sommets d’humour et d’émotion tant ils sont humains et proches du lecteur. Chacun d’entre eux est présenté minutieusement, même les plus secondaires et en acquiert une grande densité. Le lecteur de John Irving suit Homer, Candy, Wilbur Larch dans toute leur évolution, leurs pensées, leurs tergiversations grâce à un fourmillement de détails et de précisions (notamment médicales). Tous ces destins s’entrecroisent dans la structure même du livre, John Irving choisissant de passer d’un personnage à l’autre sans même sauter de ligne, juste en changeant de paragraphe.

John Irving l’orphelin de père a certainement mis beaucoup de lui-même dans cette histoire centrée sur la paternité. Wilbur Larch n’est pas le père de Homer, mais il en fait pourtant figure (et choisit de cacher ses sentiments dans l’éther), et Homer est bien le père d’Ange et le lui cache. Comment grandir quand on ne connaît pas son vrai père est l’interrogation qui court tout au long du livre. Mais si Homer est le jeune héros, Wilbur Larch est le personnage le plus étonnant de part son parcours et ses convictions.

Le droit à l’avortement  est bien sûr un autre thème dominant du roman. Larch / Irving est un défenseur acharné du droit des femmes à choisir leur destin. Il écrit à Homer :

« Comment peux-tu te permettre un choix en la matière, alors que tant de femmes n’ont pas la liberté   de choisir  elles-mêmes ? Les femmes n’ont aucun choix. Je sais que tu estimes cela injuste, mais comment peux-tu – surtout toi, avec ton expérience -, COMMENT PEUX-TU  TE SENTIR LIBRE DE REFUSER D’AIDER DES ÊTRES HUMAINS QUI NE SONT PAS EUX-MÊMES LIBRES D’OBTENIR D’AUTRE AIDE QUE LA TIENNE ? Il faut que tu les aides parce que tu sais comment les aider. Demande-toi qui les aidera si tu refuses.« 

Larch n’en est pas pour autant un terroriste pro-avortement : il fait ce qu’il doit faire et s’il tente de convaincre Homer de le suivre dans cette voie c’est parce qu’il sait qu’après lui il n’y aura plus personne et que les femmes souffriront, d’une manière ou d’une autre.

John Irving ouvre de nombreuses pistes de réflexions, comme il brosse de nombreux portraits dans l’Amérique rurale des années 30 à 50. Il n’y a pas de critiques mais bien plutôt des situations, des instants de vie et d’émotion intenses. Et malgré la gravité des sujets abordés, le ton est incroyablement léger, on sourit beaucoup tout en s’attachant au moindre personnage, même les moins recommandables.

Un roman foisonnant, passionnant, de plus de sept cents pages dont pas une de trop. Un grand moment de lecture et d’humanité.

John Irving sur Tête de lecture.

 

L’œuvre de Dieu, la part du Diable

John Irving traduit de l’américain par Françoise et Guy Casaril
Seuil (Points), 1988
ISBN : 2-02-010165-3 – 733 pages – 12.90 €

The Cider House Rules, parution aux Etats-Unis : 1985

 

Sur le même thème :

109 commentaires sur “L’oeuvre de Dieu, la part du Diable de John Irving

  1. Aaah, ça fait presque 10 ans que je l’ai lu… Time flies… Souvenir ému (avec Le monde selon garp et Hotel new hampshire), tu me donnes envie de m’y remettre !!

  2. Un roman énorme, aux pages jaunies, écornées… une édition grand format, avec pareil, cette pomme dessus… la pomme de la discorde, mais aussi les pépins qui donnent la vie… bref j’arrête les envolées lyriques à deux francs! Tout ça pour dire que j’avais adoré ce roman, que j’aurais envie de le relire ainsi que le Monde selon Garp, que j’aime énormément, vraiment beaucoup beaucoup! Et il y a une prière pour Owen qui m’attend dans mon étagère (en anglais, ça me fait un peu peur…)
    Irving…du très grand!

Les commentaires sont fermés.