Mille femmes blanches de Jim Fergus

Mille femmes blanches, c’est l’histoire de quelques Américaines, bien moins de mille, qui à la fin du XIXe siècle vont vivre un incroyable destin. En effet, le président Ulysses Grant accepte la proposition du chef Little Wolf : échanger mille femmes blanches contre mille chevaux pour que ces Américaines donnent aux Sauvages des enfants qui favoriseront les relations entre Blancs et Indiens. May Dodd est une des quelques dizaines de femmes qui partiront pour l’Ouest.

Bien sûr, les femmes livrées en pâture aux sauvages ne sont pas de bonnes et vertueuses puritaines. Non, celles qui s’engagent le font en échange de la liberté et d’une vie forcément meilleure car elles étaient prostituées, abandonnées, enfermées dans des asiles comme May. Cette dernière a en effet été déclarée folle sur demande de sa propre famille car elle a donné deux enfants à un homme hors mariage : délurée, voire vicieuse, les siens ont préféré la séparer de ses enfants et l’interner. C’est donc avec une grande lucidité que la jeune femme raconte son périple dans ses carnets, qu’elle tiendra jusqu’à sa mort.

La première partie des carnets de May en dit déjà beaucoup sur sa vie et sur la mentalité américaine de l’époque : une femme qui vit avec un homme hors mariage et lui donne des enfants est une délurée, elle mérite l’asile. May raconte les terribles conditions de vie en institution psychiatrique où les femmes sont attachées, laissées à l’abandon, violées. On imagine donc bien que, au grand étonnement de tous les bien-pensants, ces femmes-là se soient en masse portées volontaires pour le grand Ouest : les conditions de vie ne peuvent pas être pires, même chez les Sauvages.

Car c’est bien ainsi qu’elles considèrent leurs futurs maris avant de les connaître : des hommes frustres, proches de l’animalité puisque pas civilisés. C’est bien entendu tout autre chose qu’elles vont découvrir et les plus opposées aux Indiens, celles qui n’ont accepté l’aventure que pour être libres au bout de deux ans, s’adapteront puis adopteront ce nouveau mode de vie.

Quand le pays reviendra sur les promesses faites aux Cheyennes, quand on découvrira que les terres octroyées légalement regorgent d’or, elles seront là pour tenter de les raisonner, pour les amener, par la manière douce à rejoindre les réserves. Mais celles-ci signifient prison pour ce peuple libre et fier.

Ce roman est tellement beau qu’on voudrait qu’il raconte une histoire vraie. De fait, elle l’est presque tant elle s’intègre parfaitement aux événements historiques qui l’encadrent mais surtout parce que le lecteur vit aux côtés de May, devenue la femme de Little Wolf  comme si elle avait vraiment existé. Elle raconte avec sincérité son amour pour le père de ses enfants, puis la passion impossible qui s’éveille en elle quand elle rencontre le capitaine Bourke, chargé d’escorter les femmes jusqu’à leurs maris. La fierté des Indiens, leur hospitalité, leur rapport à la nature, leur nonchalance aussi, tout y est, jusqu’à la présence malsaine de l’alcool.

Pour autant rien ne semble stéréotypé, il n’y a pas d’imagerie dans ce roman mais une réelle attention portée aux êtres et à la nature. Toutes ces femmes deviennent tout à coup vivantes, on les imagine très bien, chacune avec leur caractère, leur passé, leurs espoirs.

On en apprend pas forcément plus sur la vie des Indiens, ce n’est pas un roman ethnologique comme pourrait l’être Comme des ombres sur la terre de James Welch. C’est plus un portrait de femme à travers une époque et une situation bien particulière, et le récit d’un échec, vu de l’intérieur par «les vainqueurs», même si May Dodd ne gagne absolument rien. Pas plus que les États-Unis d’ailleurs.

Aujourd’hui 12 octobre, c’est la Journée internationale de solidarité avec les peuples indiens des Amériques.

 

Mille femmes blanches

Jim Fergus traduit de l’anglais par Jean-Luc Piningre
Pocket, 2011
ISBN : 978-2-266-21746-0 – 498 pages- 7.40€

One Thousand White Women, parution aux Etats-Unis : 1998

 

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71 commentaires sur “Mille femmes blanches de Jim Fergus

  1. Malgré une histoire qui avait tout pour me plaire, je n’en garde pas un grand souvenir … je me rappelle surtout avoir été un peu déçue mais à l’époque, j’avais tellement d’attentes sur ce roman que cela a été difficile de toutes les satisfaire 😉

  2. Tiens, tu racontes assez de l’histoire pour me donner quelques souvenirs d’une lecture lointaine. Cela fait froid dans le dos, quand même, mais quelle histoire!
    Ah bon, une journée des indiens des Amériques? On va dire que je la célèbre sans le savoir, je viens juste de terminer la lecture du camp des morts, un opus de craig Johnson, avec mon sherif bien aimé Walt Longmire, et aussi Henry Standing Bear, le cheyenne le plus cool du Wyoming….

    1. Ce que dit Fergus, c’est qu’on n’a jamais rien su de ce qui s’est dit lors de l’entretien entre Grant et Little Wolf (qui a bien eu lieu) : a-t-il vraiment fait cette proposition ? Est-elle sortie de l’imagination contemporaine ? en tout cas, Fergus en a fait un très bon livre.

  3. J’ai lu ce roman il y a longtemps et il m’avait vraiment marqué. C’est un magnifique portrait de femme et une critique vive contre le puritanisme de l’époque (et ça n’a pas beaucoup changé pour certains…). Si cette histoire avait vraiment eu lieu, j’ai du mal à imaginer que ces enfants issus des deux peuples aient vraiment été intégrés par la suite. L’idée était noble….mais utopique.
    Ton billet est beau et complet, il m’a ramené à mes impressions de lecture d’il y a des années.

    1. Fergus attribue cette idée aux Indiens bien sûr, dans leur grande naïveté ils cherchaient un moyen de s’intégrer, de mieux vivre ensemble… les pionniers eux ne cherchaient pas à vivre avec les Indiens…

    1. Tu n’as pas aimé ? Ben alors, c’est étonnant car il me semble que ce livre échappe à tous les stéréotypes possibles et est fort bien écrit. Il mêle sans mièvrerie romance et aventure, tout en étant profondément humaniste. Bref, comprends pas pourquoi il ne t’a pas plu…

  4. Bien triste que le sort qui a été réservé aux indiens d’Amérique. Il n’en demeure pas moins très accueillants. Et moi peu intéressée par ce récit.

  5. Bonjour, je te remercie car je suis passionnée par les amérindiens et je ne connaissais pas ce livre, ni celui que tu cites. Je vais m’empresser de me les procurer, ils ont l’air vraiment superbes !

  6. Quel beau billet d’un roman qui m’a beaucoup plu aussi.Je te conseille aussi «La Fille sauvage» du même auteur. Différent, dur par moments mais très bien aussi.
    Merci de souligner cette journée de solidarité bien que les amérindiens tentent que ces approches soient à tous les jours mais c’est toujours ça 😉

  7. d’abord, je n’ai pas aimé le fait que ce soit une oeuvre de pure fiction, basée sur des faits exacts, mais tout faux quand même alors que la pub disait que c’était une « histoire vraie » ! par après il a été prouvé que non

    et comme je le disais, on n’a pas tous les mêmes goûts et c’est fort heureux 😉

  8. Bravo pour ce billet, tu parles très bien de ce livre. Comme toi Ys, j’ai beaucoup aimé ce roman et ton ressenti est le mien. Même s’il s’inspire d’un fait véridique, ce n’est pas gênant que l’histoire ne soit pas « vraie ». Je ne vois pas pourquoi l’on reprocherait à un roman d’être une fiction! Sinon ce serait un documentaire, une étude historique …

    1. Je crois que ce qui est dommage, c’est que cette idée soit restée une fiction, que les États-Unis n’aient pas essayé de la mettre en œuvre, pour donner une chance à l’intégration. Mais bon, on comprend à la fin que de toute façon, l’auteur ne se fait pas d’illusions sur les conséquences qu’elle aurait eu…

  9. Il faut vraiment que je le rajoute à ma PAL, le sujet m’intéresse beaucoup et des copines m’en ont vanté les mérites il y a peu

  10. Je l’ai trouvé magnifique celui là… Certains passages sont très durs mais c’est un livre indispensable !! Je me suis acheté cet été « Marie Blanche » mais pas encore lu, certains billets étaient plutôt mitigés

  11. Je reprocherai quelques longueurs à ce texte, un style un peu bancal et des personnages parfois stéréotypés. Je ne suis donc pas totalement convaincu par ce roman, qui demeure une belle lecture car on apprend un certain nombre de choses sur la vie des Indiens à l’époque.

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