Jimmy Sarano vit seul dans une ville du littoral écrasée de chaleur, quelque part « du côté de Tétouan, de Gibraltar ou d’Algésiras ». Cosmopolite, cette grande cité permet l’anonymat. La vie que l’écrivain Jean Moreno, devenu Jimmy Sarano, s’y est fabriquée, toute de répétitions, lui permet de vivre dans un éternel présent, loin du passé parisien qu’il a fui. Devenu feuilletoniste pour Radio-Mundial, il écrit les aventures de Louis XVII, planteur à la Jamaïque depuis son évasion du Temple. L’histoire peut ne pas avoir de fin et traduit son obsession :
C’est le thème de la survie des personnes disparues, l’espoir de retrouver un jour ceux qu’on a perdus dans le passé. L’irréparable n’a pas eu lieu, tout va recommencer comme avant. « Louis XVII n’est pas mort. Il est planteur à la Jamaïque et nous allons vous raconter son histoire. » Cette phrase, Sirvent la prononce chaque soir, au début du feuilleton, et l’on entend le ressac de la mer en bruit de fond, et quelques soupirs d’harmonica. Il est affalé devant son micro, le col de sa chemise bleue grand ouvert, et il profite des intermèdes pour boire, au goulot, cette eau minérale dont il ne se sépare jamais, aussi lourde et aussi indigeste que du mercure.
Un visage croisé par hasard va perturber cet équilibre factice. C’est celui de Marie, une jeune Française de vingt ans. Qui est-elle ? Qui lui rappelle-t-elle ? A-t-elle un lien avec l’enfant connue à Paris au début des années 60 ? Il a tenté d’oublier mais en regardant Marie, il revoit Marie-Rose, une actrice de théâtre qui multipliait les hommes sans le voir lui, alors adolescent, lui qui s’occupait de la petite fille qu’elle négligeait, la propre fille de Marie-Rose.
Alors le passé s’impose, il revoit quelques scènes qu’il croyait oubliées. Car même caché au bout du monde, entre silence et amnésie, l’homme ne peut bannir sa mémoire.
Vestiaire de l’enfance s’écrit entre errance, sensations et souvenirs. Le narrateur lutte contre sa mémoire qui veut lui imposer un passé qu’il désire oublier, comme tous ses collègue à Radio-Mundial. Quelques épisodes surgissent pourtant, comme les pièces d’un puzzle qui restera inachevé. Beaucoup de choses resteront dans l’ombre et le lecteur ne pourra reconstruire l’histoire de cet écrivain en fuite. Bien des questions demeurent à l’issue de la lecture, suffisamment pour établir que Modiano ne s’intéresse pas à l’intrigue mais à un état, celui de l’homme rattrapé par son passé. Peu importe ce qu’il fut, il suffit de savoir qu’on veut le tenir à l’écart. Dès lors la mémoire fait son travail, elle va chercher l’homme sous son masque pour confondre passé et présent.
Tout se confondait par un phénomène de surimpression – oui, tout se confondait et devenait d’une si pure et si implacable transparence… La transparence du temps, aurait dit Carlos Sirvent.
Patrick Modiano sur Tête de lecture
Vestiaire de l’enfance
Patrick Modiano
Gallimard (Folio n°2253), 1991
ISBN : 2-07-038364-4 – 150 pages
Première édition : 1989
Le nouveau Modiano me tente mais je connais mal ses oeuvres précédentes. Il faudrait peut-être que je commence par là.
J’ai lu un Modiano en son temps, mais je ne suis pas fan de ce genre de romans nostalgiques.
j’ai lu Modiano mais pas ce roman là, je ne sais pas ce que vaut le dernier paru mais je ne peux le lire qu’à petite dose
Honte à moi, je n’ai découvert l’écriture de Modiano que récemment. Mais je dois dire que ce texte me tente assez !
Mieux vaut tard que pas du tout…
J’aime beaucoup cette image de « vestiaire » où l’on aurait laissé son enfance.
tiens , tiens un auteur français et un Modiano!
je n’ai pas lu celui-là mas je le lirai certainement car j’apprécie cet auteur et que tu me donnes envie
J’avais envie de lire un Modiano sans bien savoir lequel. J’ai beaucoup aimé Dora Bruder, celui-ci m’a semblé moins fort, mais l’ambiance nostalgique est bien là.
un livre qui ne nous délivre pas toutes les clés.. j’ai du mal, je crois que je vais passer !
Il s’agit plus d’une ambiance que d’un roman avec une intrigue suivie de bout en bout.
J’aime beaucoup Modiano, je vais recevoir son dernier cette semaine, j’ai hâte…
Le croiras-tu ? Je n’ai encore rien lu de Modiano ! Il va falloir que je fasse un essai !
J’avoue que je n’accroche guère avec cet auteur… peut-être devrais-je réessayer ?
Je ne suis pas spécialiste, mais on retrouve toujours un peu la même ambiance…
J’ai un peu de mal avec l’écriture de Modiano. J’ai lu le fameux Dora Bruder, cela n’a pas été une lecture enchanteresse… Je suis pourtant assez curieuse devant son dernier roman après avoir lu plusieurs critiques à son propos. Enfin, je ne me suis pas encore décidée à l’acheter…
Seul roman de Modiano que j’ai lu. Un bon souvenir.
J’avais lu Rue des boutiques obscures en son temps et j’aimais beaucoup cet auteur. Je ne sais pas aujourd’hui, il faudrait que je ‘y remette (avec un peu la peur d’être déçue)… Je sais que Modiano revisite ses souvenirs comme bon lui semble…
je crois que si on l’aime une fois, on l’aime les autres…
Je ne connais pas cet auteur mais j’aimerais le découvrir
Bienvenue Eve. Je te recommande cet auteur.
J’aime beaucoup Modiano, même si c’est vrai qu’on retrouve toujours un peu les mêmes histoires et les mêmes noms (Pacheco). Merci de m’avoir rappelé l’histoire de celui-ci.
Magnifique billet Sandrine que je découvre tard , j’ai trouvé « vestiaire … « par hasard au fond de ma librairie! J’attends avec impatience de le lire. Bravo, tu parles vraiment bien de Modiano , tu as raison ce n’est jamais vraiment la résolution du mystère qui l’intéresse mais l’état…
J’étais bien contente de retrouver Modiano, il y avait trop longtemps que je ne l’avais lu.
J’adore les romans de Modiano, l’ambiance, même si les milieux sont un peu glauques… ces errances à travers une ville qui est souvent Paris, cette recherche des identités et des personnages d’un passé même toujours un peu louches, ce flou, cette mélancolie… Le charme opère chaque fois. Je me laisse porter. Et je relis… Je ne m’en lasse pas. (C’est curieux, cette impression « d’être chez moi » ou en pays connu et cher, alors que paradoxalement, si j’ai l’âge de cet auteur, j’ai eu une enfance et une jeunesse complétement différentes…) Si tous m’enchantent ainsi, j’ai un faible pour « Remise de peine », et aussi pour le dernier paru à l’automne 2014 : « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier… » qui lui ressemble. Les deux, dans leur genre, comment dire , sont à la fois étrangement féeriques et bouleversants. Merci pour votre article.
Merci Annick de votre commentaire. Compte tenu de son oeuvre, je n’ai pas beaucoup lu Modiano et vos conseils me sont précieux.
C’est en effet un grand bonheur de se sentir « chez soi » avec un auteur, d’éprouver joie et plaisir à le retrouver. Ils sont rares ces auteurs-là, ceux qu’on prend plaisir à relire.