Une ardente patience de Antonio Skármeta

Une ardente patienceMario est un jeune homme un brin fainéant, qui n’aime pas se lever le matin pour partir travailler avec son pêcheur de père. Alors il se fait facteur, mais d’un genre particulier puisqu’il n’a qu’un seul client : le poète Pablo Neruda qui vit retiré dans son refuge de l’Ile Noire. Même si certains villageois ne savent pas lire, tous connaissent et apprécient le grand homme et peuvent réciter certains de ses poèmes.

C’est un homme un peu bourru et pourtant, une amitié se tisse entre lui et le jeune Mario qui voudrait bien lui aussi écrire des métaphores pour séduire Beatriz, la serveuse du café. Car comme l’a prouvé Neruda avec ses textes engagés, la poésie est avant tout utile, elle sert à s’exprimer et à expliciter le monde. Le poète aide le jeune homme, mais madame Rosa, la mère de Beatriz, ne l’entend pas de cette oreille et vient lui faire une scène, avant d’enfermer sa fille à double tour.

Mais en cette année 1970, l’heure est à l’optimisme au Chili et l’amour l’emporte, de même que Salvador Allende et la démocratie.

Neruda doit partir loin de son village pour poursuivre son travail diplomatique, mais il reste présent au cœur des habitants qui l’attendent. Hélas, quand il revient, il ne lui reste plus que quelques jours à vivre et les militaires ont déjà envahi les rues.

Une ardente patience fonctionne comme un exercice d’admiration, le portrait d’un grand homme proche des gens par son art mais aussi par goût. Neruda n’est pas une statue ou un poète dans sa tour d’ivoire mais un homme d’expérience proche du peuple.

Malgré la fin qu’on sait tragique, le roman est parsemé de scènes drôles qui témoignent d’un passé heureux où même pauvre, le Chili pouvait rire. Mais les opposants au régime d’Allende mettent le pays au bord de la crise à force de pénurie. A l’image de la santé du poète, le climat social et politique se détériore, jusqu’au coup d’État auquel il ne survivra qu’une semaine.

Aux abords de la maison de Neruda, un groupe de militaires avait installé un barrage et, plus loin derrière, un camion de l’armée faisait tourner silencieusement son gyrophare. Il tombait une pluie légère, une bruine froide de la côte, plus éprouvante que vraiment mouillée. Le facteur prit un raccourci et, du haut de la colline, une joue plongée dans la boue, il put avoir un tableau d’ensemble de la situation : le chemin du poète était bloqué au nord et gardé, devant la boulangerie, par trois soldats. Ceux qui devaient l’emprunter étaient fouillés. Chaque papier de leur portefeuille était lu, plus pour tromper l’ennui de monter la garde dans un hameau aussi insignifiant que par zèle antisubversif ; si le passant portait un sac, on lui intimait, sans violence, l’ordre d’en montrer le contenu en détail : le détergent, le paquet de vermicelle, la boîte de thé, les pommes, le kilo de pommes de terre… Après quoi, d’un geste ennuyé, on lui permettait de repartir. Bien que tout cela fût neuf, Mario trouva que la conduite des militaires avait un air de routine. Ce n’est que lorsque réapparaissait, à intervalles réguliers, un lieutenant moustachu et vociférant qu’ils redevenaient sévères et accéléraient le mouvement.

On s’interroge encore aujourd’hui sur les raisons de la mort du prix Nobel de littérature : est-il mort d’un cancer comme le veut la version officielle (il était très malade) ou empoisonné par un agent du jeune régime militaire ? Les restes du poète ne reposent pas en paix puisque une partie est analysée aux Etats-Unis et une autre en Espagne afin de déterminer dans le cadre d’une enquête judiciaire les causes de cette mort qui suivit de peu la prise de pouvoir de Pinochet.

Une ardente patience d’Antonio Skármeta a été adapté au cinéma par Michael Radford sous le titre « Il Postino » (« Le facteur »). C’est Philippe Noiret qui endosse le rôle du grand poète chilien. Le scénario transpose l’intrigue, qui reste la même, en Italie dans les années 50 alors que Neruda était exilé. Sur cette île ne vivent que des pêcheurs presque tous illettrés. Mario (Massimo Troisi, très touchant) s’attache au poète qui va l’aider à séduire sa Beatrice. La portée du film est moins politique, plus centrée sur le pouvoir de la poésie et sur l’amitié entre deux hommes très différents, un intellectuel et un quasi analphabète qui n’analyse pas ses sentiments, se contentant de les subir. La poésie, les mots et l’amitié vont les rapprocher.

Je n’ai vu qu’une affreuse copie de ce film qui ne me permets pas d’en juger la qualité esthétique mais il m’a quand même semblé vieillot (bien qu’il date de 1994). L’image use et abuse de ces magnifiques paysages italiens, entre mer et montagnes, sentiers et petites rues de village. Rien ne rythme le film en dehors de cette amitié, même pas le contexte politique autour du communisme qui n’est qu’évoqué, ce qui est dommage. On s’ennuie donc un peu pendant une heure quarante.
Le plus terrible, c’est que j’ai vu ce film en v.o., donc en italien, et que Philippe Noiret est doublé : ce n’est donc pas sa voix qu’on entend, et le doublage n’est pas toujours synchrone, c’est affreux. Heuresement, Philippe Noiret et Massimo Troisi jouent juste, sans en faire trop, et parviennent à toucher le spectateur.

Une ardente patience

Antonio Skármeta traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero
Seuil, 1987
ISBN : 2-02-009520-3 – 155 pages

Ardiente Paciencia, parution aux États-Unis : 1985

18 commentaires sur “Une ardente patience de Antonio Skármeta

  1. Si je n’avais pas tant de livres à lire, je relirais bien ce petit roman… et qui sait, je le ferai peut-être ! J’ai l’impression de ne pas avoir goûté pleinement sa saveur à la première lecture.

  2. Ooh tu fais bien de parler de cet auteur ! Il est dans ma vieille PAL de l’époque où je fouinais beaucoup côté litté d’Amérique latine, et j’ai bien envie de le ressortir maintenant !
    J’avais vu Le facteur aussi mais j’en garde un souvenir très diffus. Sympathique il me semble, mais c’est pas assez précis dans ma tête.

  3. J’avais littéralement adoré cette lecture ( que je conseille souvent, notamment aux lycéens ). En revanche, le film, je m’en suis passée. Tu sembles confirmer.

    1. Il me semble que le film n’apporte rien à la lecture, au contraire, plus on aime le livre et plus il y a de risques d’être déçu par cette transposition.

  4. J’ai lu ce livre il y a pas très longtemps que l’on m’a offert et j’ai adoré prenant, touchant, émouvant…Le film en revanche pas encore, j’Adore Philippe Noiret en plus…

    Merci de ton billet 😀

  5. J’ai un souvenir diffus du film, que je crois avoir trouvé charmant. Je ne savais pas que l’intrigue ne se passait pas en Italie dans le livre. Du coup, ton billet m’intrigue et je reviendrais bien au source de cette histoire…

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