Corps variables de Marcel Theroux

Corps variables

Après une préface qui laisse augurer un thriller, Corps variables se présente comme un campus novel avec un narrateur spécialiste de Samuel Johnson, pas assez brillant pour concrétiser ses rêves d’ascension sociale, un brin rancunier et pas loin de la déprime. Père de famille et époux d’une trop belle femme. C’est à lui qu’un certain Hunter, collectionneur influent dans le monde de l’industrie musicale, demande d’authentifier des lettres de Johnson. Nicholas Slopen, l’universitaire en question, s’émeut de constater qu’elles semblent authentiques. Il découvre bientôt d’autres textes, et celui qui les a écrits : un certain Jack qui pense être Samuel Johnson.

A ce stade du roman, le lecteur en est encore à danser d’un pied sur l’autre, ne sachant que penser. Et ça ne va pas s’arranger. Car Nicholas Slopen, narrateur de Corps variables est au moment où il rédige le texte que nous lisons, enfermé dans un hôpital psychiatrique pour malades dangereux. C’est qu’il ne veut pas démordre de son identité : même s’il n’en a pas l’air, il est Nicholas Slopen. Seulement voilà, ledit universitaire est mort dans un accident peu temps auparavant.

Notre narrateur est-il sincère ? Fou ? Victime d’une machination ?

Il serait dommage d’en dire beaucoup plus car la découverte progressive des aventures de Nicholas Slopen est un des plaisirs du roman, et non des moindres. Que s’est-il passé ? Qui est Jack ? Et qui est cette femme, sa soeur Vera qui veille sur lui ? Slopen ira chercher des réponses à ses questions jusqu’en Russie ; il en ramènera bien plus que des réponses.

On avait déjà croisé la route de ce Britannique au nom si français dans Au nord du monde. Avec ce nouveau roman, il confirme son talent d’écrivain et son goût pour les thématiques chères aux auteurs de science-fiction. C’était le post-apocalyptique, c’est aujourd’hui le post-humanisme, sujet en passe de devenir leader dans nos littératures bien que de moins en moins imaginaire. Marcel Theroux installe d’abord son lecteur dans une ambiance familière. La rupture s’amorce avec une suspicion de folie, puis de manipulation. Sur un mode humaniste, truffée de références littéraires, l’intrigue tourne au cauchemar sur le mode soviétique de l’industrialisation humaine et de l’eugénisme.

Jusqu’où la peur de la mort et le fantasme de la vie éternelle mèneront-ils les hommes ? Qu’est-ce qui fait d’un homme ce qu’il est : ses souvenirs, son expérience, son corps, son mode d’expression ? C’est sur le mode du thriller psychologique et mélancolique, qui n’est pas sans rappeler Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro, que Marcel Theroux interroge l’humain, son devenir et ses possibles. Il modernise le thème de la créature errante, fruit d’une science expérimentale et sans scrupule. Et c’est très réussi.

Marcel Theroux sur Tête de lecture

Corps variables (Strange Bodies, 2013), Marcel Theroux traduit de l’anglais par Stéphane Roques, Plon (Feux croisés), février 2015, 322 pages, 20.90€

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