La République des faibles de Gwenaël Bulteau

Tout commence par la découverte du cadavre d’un enfant. Beaucoup de romans policiers et de romans noirs commencent ainsi, sur la tristesse infinie, la colère et le scandale que représente l’assassinat d’un enfant. Si La République des faibles se distingue de tous ces romans déjà écrits, c’est par son contexte, son intrigue et sa langue.

Nous sommes à Lyon, aux tout premiers jours de l’an 1898. On pense Troisième République et bien sûr J’Accuse. Mais aussi encore défaite de 1870, stigmates de la Commune et misère des petites gens dans les plus grandes villes françaises. Et les plus miséreux des miséreux sont sans doute les femmes et les enfants.

Le commissaire Jules Soubielle et son équipe leur viennent en aide, à leur façon et dans la mesure du possible. Car tous ces parents accablés de misère, guettés par la folie ont des rapports avec l’enfance qu’on qualifierait aujourd’hui pour le moins d’inattendus. Ils ont pour la plupart trop d’enfants, alors… prostituer sa fille, par ailleurs simple d’esprit, est-ce un problème ? Qui s’en plaint ? C’est quand on en arrive au meurtre et que la police s’en mêle que les choses se compliquent et que les pédophiles sont un peu amochés.

La police… Si le commissaire Soubielle est un personnage assez traditionnel, ses subordonnés sont beaucoup plus atypiques. Leurs méthodes sont pour le moins musclées et leurs scrupules aux abonnés absents. On suit plus particulièrement Fernand Grimbert, flic et alcoolique, qui connaît bien des déboires avec sa trop jolie Lucienne. Femme de flic on le sait, ça n’est pas une vie, alors flic alcoolique… On suit également Gabriel Silent, un ancien des mœurs, antisémite notoire. Personnage détestable qui se révèle bien plus ambigu que prévu, et c’est bien sûr tant mieux.

D’ailleurs, tous ces personnages sont complexes, c’est une des forces de La République des faibles. Même les dézingués, qu’ils soient pédophile ou pharmacien ou mère accablée de grossesses sont très humains et incarnés. Il semble qu’on les connaît, en tout cas, on n’a aucun mal à les imaginer, les comprendre.

La langue qu’ils parlent participe au réalisme des personnages. Car Gwenaël Bulteau maîtrise aussi les dialogues et surtout, il parvient à ne pas en faire trop. Le parler populaire a ses écueils qu’il a su contourner. Je ne sais pas comment on parlait dans les bas-fonds de Lyon à la toute fin du XIXe siècle, mais quand Grimbert, Caron, Demange et Baldo parlent, j’y crois.

La République des faibles est plus qu’un roman policier puisque c’est aussi un roman historique et un roman social. Les trois aspects sont traités avec le même brio, sans que, comme c’est souvent le cas, l’intrigue policière s’efface devant le contexte historico-social. On échappe aussi aux tunnels explicatifs qui plombent tant de romans historiques. Le lecteur est censé connaître l’affaire Dreyfus et si ce n’est pas le cas, il y a toujours moyen de se renseigner (il n’est jamais trop tard…).

Cette intrigue aux multiples ramifications se révèle donc efficace. Le mieux est sans doute de la lire vite pour ne perdre aucun des fils narratifs qui au final tissent une toile addictive.

Gwenaël Bulteau ne donne pas de leçons, il donne à voir, ce qui suffit amplement à nous faire comprendre les inégalités, l’injustice et l’urgence qu’il y a à y mettre fin. C’est ce que voulait la République…

C’est une belle idée de mettre le droit au service des individus sans défense. Malheureusement, et croyez-en ma longue expérience de femme, cette conception n’a jamais été d’actualité.

Cette chronique me permet de participer au rendez-vous en ville organisé par Book’ing et Aleslire.

 

La République des faibles

Gwenaël Bulteau
La Manufacture de livres, 2021
ISBN : 978-2-35887-719-0 – 362 pages – 19,90 €

 

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15 commentaires sur “La République des faibles de Gwenaël Bulteau

    1. C’est vraiment un bon roman historique. Mon seul regret est de ne pas avoir pu le lire en une ou deux fois seulement pour mieux englober la tension narrative et les sous intrigues liées aux nombreux personnages.

    1. C’est vrai, mais pour certains livres, c’est mieux. Par exemple, quand je veux relire Shutter Island, je me bloque la journée et c’est parfait !
      (et je ne sais pas pourquoi tes commentaires sont toujours modérés : puisque tu en a déjà déposé, la modération ne devrait pas se faire, elle ne se fai pas pour les autres commentateurs réguliers…)

    1. Je crois que pour les dialogues, c’est une question de ressenti. On ne sait pas comment parlaient les flics et les pauvres gens des bas-fonds de Lyon et d’ailleurs. Mais on peut estimer que l’auteur fait parler ses personnages de la façon dont on pense que les gens parlaient. Le fait que l’auteur soit ou pas doué pour les dialogues en général joue aussi.

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