La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon

Tous les enfants, et en particulier les petites filles des années 70 ont entendu parler de Nadia Comaneci. Pour moi, elle est cette petite gymnaste merveilleuse, une sorte d’élastique qui fait des choses incroyables sur une poutre ou au sol. Rien de plus : la guerre froide a sept ans… Alors pourquoi lire la biographie romancée de cette petite gymnaste ? Simplement parce qu’elle permet à Lola Lafon d’aborder des thèmes intéressants comme celui de la célébrité, du corps féminin en mutation, de la rapacité des médias, de notre vision des pays de l’Est.

Nadia Comaneci entre dans la lumière en 1976 aux Jeux Olympiques de Montréal. Plusieurs parcours sans faute, 10/10, du jamais vu. Aussitôt le public et les médias l’adorent. Il faut dire qu’à quatorze ans, elle en paraît dix. Ce qu’on aime en elle, c’est l’enfance avec ce qu’elle a de gracieux et d’encore fragile.

Mais Nadia n’est pas fragile puisque depuis l’âge de dix ans elle se plie à l’organisation très stricte de son entraîneur roumain. Les entraînements sont un enfer, les repas sont calculés à la calorie près mais Nadia est « une plante carnivore de dangers dont il faut la gaver ». Elle est surtout une superbe vitrine pour le communiste : regardez notre belle et saine jeunesse ! Regardez comme nous élevons bien nos enfants qui deviennent des champions ! Et de fait, elle est adulée jusqu’aux Etats-Unis. Pas une petite Américaine qui ne veuille lui ressembler.

Mais Nadia n’est pas la jolie poupée qu’on aimerait qu’elle soit. C’est une jeune fille qui devient femme et son corps alors la trahit. Elle prend des fesses, des seins, du poids. Elle déteste ce nouveau corps trop lourd, se laisse aller. Nadia passe à l’Ouest, Nadia vieillit mais alimente toujours les pages people. Car les médias se déchaînent comme jamais, se moquant d’elle avec un mépris incroyable. Ils la traitent de grosse vache, de prostituée. L’admiration pour l’enfant a disparu et la femme n’a plus droit à aucun égard.

Lola Lafon qui a grandi en Roumanie a fait beaucoup de recherches et son roman reste factuel. Entre les chapitres biographiques s’intercale une conversation imaginaire entre la romancière et la gymnaste. Cette dernière corrige par avance les critiques à l’encontre du régime communiste : si elle a fui la Roumanie de Ceaucescu, tout n’y était cependant pas à jeter et la vision qu’en ont les Occidentaux ne se base que sur les toutes dernières horribles années du régime durant lesquelles le peuple mourrait de faim.

Le plus terrible je crois est le portrait de la femme célèbre. Une femme célèbre doit rester telle que le public l’aime. Elle est figée dans une image, le plus souvent jeune et belle. Il lui est interdit de vieillir, de s’alourdir, d’être elle-même. C’est pire aujourd’hui qu’à l’époque de Comaneci. Alors c’est botox à tous les étages pour gommer les années. Isabelle Adjani aujourd’hui ressemble à celle d’il y a quarante ans. De même Julia Roberts et beaucoup d’autres. Je plains ces femmes, elles me font pitié, je suis plus heureuse qu’elles. Je leur préfère Brigitte Bardot qui est moche après avoir été la plus belle femme du monde.

 

La petite communiste qui ne souriait jamais

Lola Lafon
Actes Sud, 2014
ISBN : 978-2-330-02728-5 – 317 pages – 21 €

 

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25 commentaires sur “La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon

  1. Je ne la trouve pas moche, Brigitte Bardot… Le problème vient sans doute en grande partie de ce qu’on met derrière les notions de beauté et de laideur…
    ce qui est effrayant, c’est de voir que beaucoup de jeunes ont maintenant recours à la chirurgie. Il ne s’agit plus de ressembler à celle qu’on était il y a 20 ou 30 ans, mais de ressembler à l’image retouchée qu’on affiche sur les réseaux sociaux. Flippant…

    1. C’est vrai, c’est effrayant et on se demande à quoi ressembleront ces gens dans 50 ans… pas à Brigitte Bardot, sans doute, mais à quelques monstres échappés d’une baraques dignes des freaks des jadis..

  2. Je n’irai pas jusqu’à dire que BB est moche, je dirai plutôt qu’elle a mal vieilli. Mais je suis d’accord avec toi sur ton analyse de la fille adulée devenue femme.

  3. C’est une lecture qui m’avait beaucoup intéressée par tous les aspects abordés par Lola Lafon. J’ai eu la chance d’assister à une rencontre avec elle, avec spectacle. Elle lisait des extraits et chantait (très bien) alternativement.

  4. J’ai lu le premier roman de Lola Lafon, « Une fièvre impossible à négocier » quand il est sorti. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas continué de la suivre… Trop de livres à lire pour une vie !

  5. J’avais bien aimé ce titre, et l’angle politique choisi par l’autrice pour évoquer cette figure à priori figée dans une époque révolue. Vu mon âge, j’avais encore en souvenir le « petit lutin » qui volait entre les barres … Et finalement, sa trajectoire est beaucoup plus ambigüe. Pour Barbot, si elle a mal vieillie, c’est surtout dans ses idées politiques …

  6. J’avais également beaucoup aimé ce livre. J’ai eu la chance d’assister à la première rencontre en librairie lors de sa parution. Nous avions parlé de la Roumanie, de l’empire des médias ( et de la dictature de l’image et du produit à l’Ouest ) et aussi du corps, de la souffrance du corps pour les sportifs ( l’autrice ayant été elle-même sportive, elle nous expliquait d’être aussi inspirée de son expérience physique ).

  7. Je n’avais pas aimé l’aspect romancé (j’aurai préféré un livre plus proche de celui écrit sur Anne Franck, une enquête plus proche de la vérité) mais c’est quand même un livre qui m’avait appris plein de choses sur la Roumanie 🙂

    1. Pour l’instant je n’ai lu que ce livre de Lola Lafon mais pour l’avoir entendue ici ou là parler de ses autres livres, je pense qu’ils sont pour beaucoup tous aussi intéressants.

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