Joseph de Marie-Hélène Lafon

Joseph et moi, ça n’était pas gagné. J’imaginais le vague récit monotone d’une vie de paysan. Quelque chose comme un éloge de la ruralité et d’un passé disparu. Pour donner plus de vie à un texte que je pensais ennuyeux, j’ai choisi de l’audiolire. C’est Marie-Christine Barrault qui prête sa voix à ce roman de Marie-Hélène Lafon.

Joseph n’est pas paysan, au sens où il ne tient pas une ferme. Il est ouvrier agricole : il loue ses bras, sa force de travail. Depuis qu’il est en âge de travailler, il est allé chez les uns et les autres, changeant de patrons, ne se fixant jamais nulle part. Il n’a pas de maison à lui, ni de femme, ni d’enfant. Il a une chambre chez ses patrons, il tient le moins de place possible, se fait discret. Il travaille bien, ne fait pas de bruit, possède un talent pour les dates.

Au fil des pages il décrit sa vie actuelle, son quotidien, ses relations avec le patron et la patronne. Tout est très précis et minutieux, rien n’est laissé au hasard. Il se souvient de sa vie chez ses parents, de son frère qui s’est marié, qui est parti et tient un bar tabac. Tout semble uniforme, monotone. Petit à petit pourtant, le passé douloureux de Joseph émerge : il a aimé lui aussi, il a été malheureux. Et surtout, pendant de longues années, il a sombré dans l’alcoolisme, le fléau de bien des hommes.

Il n’y a pas de misérabilisme dans le récit ni dans les descriptions. Joseph est un homme simple et discret qui ne sera jamais un héros au sens romanesque du mot. C’est un homme qui vit de rien, qui aura consacré sa vie au travail et la finira dans une maison de retraite. Il y a pourtant dans cet homme de peu toute l’humanité du monde, la grandeur d’un homme juste et intègre. Et ça n’est pas lassant. Car Joseph fait défiler ses souvenirs sans que la nostalgie ou le « avant c’était mieux » s’installent jamais. D’ailleurs, on ne sait pas ce que pense Joseph car Joseph est un taiseux qui sait où est sa place et ne prend pas part aux débats.

L’approche est sociologique et humaine à la fois : à travers le quotidien de Joseph, c’est un monde ancien qui défile, celui de l’ouvrier qui loue sa force de travail de ferme en ferme. Sans doute, la modernité est bien là avec la télévision et internet, mais ce monde rural semble quand même vivre loin de l’actualité et de l’agitation. Ce que Joseph préfère regarder à la télé, c’est le patinage artistique, mais on n’en voit plus guère… Tant pis. Pour ça comme pour le reste, Joseph ne récrimine ni ne se révolte. Il prend les choses et les gens comme ils sont et il garde sa place. Il n’a pas droit au lavabo de la salle de bain ni au linge repassé, c’est comme ça, il ne se plaint pas.

J’ai apprécié le style précis et sans pathos de Marie-Hélène Lafon, ainsi que la lecture de Marie-Christine Barrault qui donne de la gaîté au texte. Sa voix est discrètement joyeuse ce qui contribue au dynamisme du récit et évite l’austérité toute auvergnate de certaines descriptions.

 

Joseph

Marie-Hélène Lafon
Buchet Chastel, 2014
ISBN : 978-2-283-02747-9 – 144 pages – 13 €

 

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21 commentaires sur “Joseph de Marie-Hélène Lafon

      1. Oh, je t’ai répondu, mais je ne vois pas ma réponse, j’ai du oublier de valider…J’ai lu deux livres, j’ai aimé les deux ( Joseph et l’annonce ), mais j’ai trouvé quand même que restant dans son élément et dans le même type d’histoires et de personnages, j’allais m’ennuyer, et aux dires d’amis qui ont lu les autres, c’est un peu ça. Donc, pour le moment, je m’en tiens à ces deux.

  1. Comme « Lectriceencampagne », je me suis un peu lassée des thèmes répétitifs de MH Lafon et de son style presque trop parfait… Mais l’écouter, comme tu l’as fait, relancerait peut-être mon intérêt 🙂

  2. J’aimerais beaucoup le lire. Je l’ai noté à sa sortie et puis… le temps a filé… je le renote, je vais bien y arriver. J’aime bien ces récits de vie de paysan.

  3. Une auteure que j’aime beaucoup (et j’ai connu un homme dont la vie a sans doute ressemblé à celle-ci, ouvrier dans la ferme d’oncle et tante) Un nouveau titre paraîtra en janvier;

  4. Je n’ai lu que « le soir du chien » d’elle, que j’avais aimé. J’avais l’intention de continuer, mais tu sais ce que c’est, trop de sollicitations. J’avais noté « Joseph », je surligne.

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