
Alors que Judith Perrignon, journaliste, se trouve à Détroit pour un reportage, un drame se déroule en Louisiane, très loin de là : quasi tous les enfants d’une même famille noire viennent de se noyer. Les médias s’interrogent : pourquoi les Noirs américains ne savent-ils pas nager ? C’est le point de départ de ce roman très habilement construit et qui aborde le racisme de façon littérairement originale.
Le roman se découpe en trois parties. Différentes voix d’une même famille s’expriment. Il y a Mary Lee, la grand-mère dont les parents ont quitté le sud après l’abolition de l’esclavage. Elle a épousé Henry, ouvrier d’usine à Détroit qui a usé sa vie dans cette vitrine du rêve américain. Son frère Howard qui vit avec elle est sourd depuis son adolescence, on saura plus tard pourquoi. Sa fille Dana a eu cinq enfants de plusieurs pères différents. Ce matin-là, la police vient chez eux pour fouiller et interroger Marcus, l’aîné de ses petits-enfants. La police est toujours après eux, quoiqu’ils fassent, ils sont suspects. Il faut dire que les garçons ne se tiennent pas à carreau, pas plus que Deborah, qui semble amoureuse, ça finira sûrement mal, comme toujours pour les femmes noires et pauvres. Elle aussi devra élever seule ses enfants parce que son homme partira, parce qu’il sera en prison ou mort de mort violente. Mary Lee ressasse tout ça, le destin des jeunes Noirs américains aujourd’hui qui se mettent en danger.
Il fait chaud, ils décident de partir pique-niquer au bord du fleuve avec les cousins.
Deuxième partie : nous sommes dans le Missouri, la ségrégation vient d’être abolie. Mary Lee est une petite fille. Elle apprend, comme son frère et tous ses amis, cette nouvelle incroyable, comme tant d’autres sans doute mais qui la touche : légalement, rien n’empêche plus les Noirs d’accéder aux piscines municipales. Les enfants, fous de joie, s’y précipitent malgré l’inquiétude de leurs parents qui ont vécu la ségrégation, les humiliations : comment tout cela pourrait-il disparaître par l’effet d’une simple loi ?
Sur place, Mary Lee n’ose pas entrer à la piscine mais son frère Howard n’hésite pas : il entre avec des amis puisqu’il a le droit. Il va apprendre à nager ! Mais pour les Blancs, il est hors de question de partager leur piscine, hors de question que leurs corps trempent dans le même bain que des Noirs. Alors la colère gronde, la bousculade commence, puis les coups. Où est Howard ? Du haut de l’arbre où elle s’est réfugiée, la petite Mary Lee le cherche et observe…
Troisième partie : on retrouve Mary Lee et ses petits-enfants au bord du fleuve. Et grâce au détour par le passé, on comprend pourquoi les Noirs ne savent pas nager. Ce n’est pas une question anecdotique mais un héritage culturel et même physique : les Noirs ne fréquentent pas les piscines des Blancs, ce ne sont pas des lieux sûrs pour eux.
J’ai trouvé ce roman très intelligent dans son propos et sa construction. A cause du passé qui ne passe pas et à travers un flash back, on comprend que la ségrégation n’a pas cessé de poursuivre les Noirs américains. Une loi n’abolit rien, surtout pas des siècles de haine et de domination. Et plutôt que l’expliquer, Judith Perrignon le démontre par les faits, par les conséquences que des décennies plus tard la ségrégation a encore sur les hommes et les femmes mis à l’écart.
Les faibles et les forts
Judith Perrignon
Stock (La Bleue), 2013
ISBN : 9782234071575 – 160 pages – 18 €
Une lecture forte qui m’avait marquée. Et quel drame pour toute la communauté noire.
Oui, c’est à la fois une tragédie humaine et un symbole.
Un roman intelligent, tout à fait… J’ai découvert J. Perrignon avec « L’Intranquille » écrit sur et avec G. Garrouste, et depuis tout ce que je lis d’elle me ravit.
Un peu dans la lignée de celui-ci, je te recommande « L’insoumis », sur le parcours (et l’image) de Mohammed Ali, qu’elle a aussi décliné en podcast (https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/grande-traversee-mohamed-ali-combats).
Merci pour ce conseil et ce podcast. J’ai aussi lu (sans chroniquer) « Victor Hugo vient de mourir » : c’est aussi un très bon texte.
j’avais lu ce roman en son temps je l’avais bien aimé mais trouvé un peu trop démonstratif .
Ah bon ?! Je ne trouve pas du tout au contraire… c’est étrange les ressentis parfois…
Ce sont des thèmes qui me parlent alors je pense bien le lire, j’espère prochainement. Je n’aime pas trop le titre en revanche…
Le titre ne dit pas grand-chose a priori et on aurait sans doute pu trouver mieux.
J’ai aimé tout ce que j’ai lu de la plume de Judith Perrignon et ce sujet là m’intéresse ; la manière dont la domination et l’exclusion se perpétuent, lois ou pas lois ..
Je pense que je lirai d’autres titres d’elle car je suis allée jeter un oeil à sa bibliographie qui est très intéressante.
Eh bien à découvrir, visiblement, avec qui plus une manière originale d’aborder la thématique de la ségrégation.
Tout à fait. On voit peu Judith Perrignon sur les blogs, c’est dommage.
Un roman que j’ai beaucoup aimé. Et depuis, je lis systématiquement cette auteure
Pour ma part, j’en lirai d’autres, c’est certain.