Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras

Un barrage contre le Pacifique

Une femme devenue veuve vit sur une concession en Indochine avec ses deux enfants. Pauvre et sans relation, elle s’est vu confier des terres incultivables. La plaine a englouti les économies d’une vie et un labeur acharné. La mère n’a pas renoncé : elle a investi ses derniers billets dans la construction d’un barrage contre le Pacifique, pour que l’océan n’inonde pas ses cultures. Et elle y a cru, elle a cru que quelques piquets pourraient retenir l’océan. C’est dire l’ampleur de son rêve et de sa déception.

Malgré toutes ses défaites, elle espère encore. Elle espère que sa fille Suzanne obtiendra beaucoup de ce Monsieur Jo qui la regarde et s’intéresse à elle. C’est un homme riche, il pourrait lui donner de l’argent. Et avec ça, la mère pourrait refaire un barrage, réparer la toiture… Tant que Joseph et Suzanne sont là, elle peut encore avoir des projets. Mais Joseph a vingt ans, il n’en peut plus de la concession et de la plaine, de cette misère. Il ne rêve que de partir. Ce qui tuera sa mère, il le sait.

J’ai éprouvé quelques difficultés à lire ce roman de Marguerite Duras, surtout la première partie. Aucun problème de vocabulaire ni de compréhension mais de lassitude : le temps s’étire sur la concession, il ne s’y passe rien, c’est long. D’autant plus que les rapports de cette mère avec ses deux enfants sont assez étranges et jamais explicites. La mère utilise sa fille comme appât pour attirer des hommes riches tandis qu’elle voue un amour absolu à son fils. Ils vivent dans un contexte qui m’est étranger et inconnu (l’Indochine française) et ce qu’on sait d’eux n’aide pas à les comprendre. D’autant plus que le style de Marguerite Duras est pour le moins rugueux, parfois vulgaire on ne sait pourquoi. Il n’y a pas grand-chose pour saisir ces personnages et ce décor, ils sont comme des fantômes que Duras voudraient faire sortir de l’oubli.

La seconde moitié du roman se déroule pour partie en ville ce qui donne un peu de rythme à la narration et met en scène une autre catégorie de la population coloniale : les riches, ceux qui ont pu profiter du système. La ville rappelle la grande époque.

C’était la grande époque. Des centaines de milliers de travailleurs indigènes saignaient les arbres des cent mille hectares de terres rouges, se saignaient à ouvrir les arbres des cent mille hectares des terres qui par hasard s’appelaient déjà rouges avant d’être la possession des quelques centaines de planteurs blancs aux colossales fortunes. Le latex coulait. Le sang aussi. Mais le latex seul était précieux, recueilli, et, recueilli, payait. Le sang se perdait. On évitait encore d’imaginer qu’il s’en trouverait un grand nombre pour venir un jour en demander le prix.

Marguerite Duras dénonce le colonialisme qui ravage des terres, profite des hommes et ne laisse que désolation derrière lui. L’émotion surgit (enfin) quand elle évoque à plusieurs reprises les nombreux, trop nombreux enfants indésirables qui naissent et meurent, enterrés sous les cases des maisons indigènes.

Il en était de ces enfants comme des pluies, des fruits, des inondations. Ils arrivaient chaque année, par marée régulière, ou si l’on veut, par récolte ou par floraison. Chaque femme de la plaine, tant qu’elle était assez jeune pour être désirée par son mari, avait son enfant chaque année. À la saison sèche, lorsque les travaux des rizières se relâchaient, les hommes pensaient davantage à l’amour et les femmes étaient prises naturellement à cette saison-là. Et dans les mois suivants les ventres grossissaient. Ainsi, outre ceux qui en étaient déjà sortis il y avait ceux qui étaient encore dans les ventres des femmes. Cela continuait régulièrement, à un rythme végétal, comme si d’une longue et profonde respiration, chaque année, le ventre de chaque femme se gonflait d’un enfant, le rejetait, pour ensuite reprendre souffle d’un autre.

Seuls les riches s’en sortent. Dans ce monde d’hommes, qu’elle est la place des femmes ? La mère en vaut bien dix mais elle n’a eu aucun soutien. Ses espoirs envolés elle n’est plus rien qu’une mère qui sait que ses enfants aussi vont partir. Suzanne en 1950 est la jeune fille que Marguerite Duras a été à la fin des années 20. Une jeune fille désirable et désirante, qui s’interroge sur sa sexualité et sur son rôle de fille.

Un barrage contre le Pacifique est un roman de la désillusion, d’où suintent la tristesse et le désespoir. J’ai eu du mal à en appréhender les personnages.

Marguerite Duras sur Tête de lecture

 

Un barrage contre le Pacifique

Marguerite Duras
Gallimard (Folio n°882), 2014 (Edition originale : 1950)
ISBN : 978-2-07-036882-2 – 364 pages – 7,50 €

 

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25 commentaires sur “Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras

  1. J’étais déjà pas très emballée par le style de Marguerite Duras… grâce à ton résumé, je n’aurai pas besoin de lire ce roman.

    1. J’aimerais t’y engager tout de même car il y a de belles choses dans ce roman mais il est certain que je ne l’ai pas lu avec le même plaisir que d’autres romans.

  2. Bonjour,

    Lu, il y a très longtemps, ce roman m’avait beaucoup marqué pour plusieurs raisons :
    – Le côté autobiographique du roman (Madame Donnadieu mère de Marguerite Duras)
    – La lutte contre l’injustice sociale quand on est pauvre
    – La lutte d’une femme dans un monde d’hommes
    – La lutte d’une femme seule qui veut offrir une vie meilleure à ses enfants
    – La description de la vie dans les colonies françaises
    – L’entêtement qui aveugle cette femme
    – Jusqu’à sacrifier ses propres enfants
    – Le style littéraire très libre

    De ce roman, 2 films ont été faits : en 1958 par René Clément et en 2008 par Rithy Panh.

    Or, il s’avère que Rith Panh a recherché l’endroit où vivait la famille Donnadieu ; il s’agit du Cambodge (Golfe du Siam) et depuis plusieurs années les Cambodgiens cultivent du riz sur des terres reprises sur le territoire de la mer (en fabriquant des digues… cad des barrages contre les éléments naturels).
    NB : Rithy Panh l’avait expliqué lors d’une conférence aux Rendez-vous de l’Histoire à Blois, il y a fort longtemps.

    PS : il faudrait que je relise ce roman, pour vérifier (ou pas) ma première lecture.

    Merci pour vos chroniques !

    1. Je pense aussi que je garderai un souvenir durable de ce texte même s’il est difficile d’accès à mes yeux. « La mère » était en avance et bien seule pour réussir son entreprise de barrage, les coloniaux plus riches devaient la regarder se débattre dans son impuissance…

    1. Un peu laborieux pour moi aussi car ce n’est pas une écriture dans laquelle on entre facilement. Parmi les petits défis personnels de mon année de lecture : approfondir l’oeuvre d’auteurs déjà lus.

  3. je n’ai jamais lu Duras, pourtant grand monument de la littérature française… et ce que tu en dis ne m’emballe pas du tout, du tout!

    1. C’est parce que j’en parle mal, ayant éprouvé quelques lassitudes de lecture. A mon avis, L’Amant est une bonne porte d’entrée. J’ai lu aussi Le Ravissement de Lol V. Stein (non chroniqué), mais je ne le conseillerais pas pour commencer.

  4. J’ai lu deux romans de Duras, Les petits chevaux de Tarquinia et celui-ci qui est mon préféré… si, vraiment, j’avais bien aimé ! Je ne pense pas la relire, toutefois.

    1. J’ai eu envie de lire ce titre-ci car il y est question de condition féminine, mais je pense que le sujet est toujours plus ou moins présent dans tous ses romans.

  5. un grand classique de la littérature contemporaine . Il faudrait que je le relise à l’époque de mes études j’avais bien aimé.

  6. J’avais tellement aimé ce livre ! Je l’ai très souvent offert à des jeunes car je pense que c’est un grand classique de la littérature.
    Bonheur du Jour

  7. Pas facile à appréhender, car très loin de nous sur tous les plans, et beaucoup de choses ne sont pas explicitées, mais j’ai beaucoup aimé. Je le trouve quand même très fort. Roman de la désillusion, c’est juste.

  8. Je l’ai lu il y a longtemps et j’avoue ne pas trop m’en souvenir. Duras en général ce n’est ni facile, ni aimable à lire. Par contre, j’ai été très impressionnée par « la douleur ».

  9. Je n’ai toujours pas lu Duras. Je ne sais pas si je sauterai le pas un jour. Ce que tu dis de ce roman ne m’y incite pas trop, mais il faudrait que j’essaie quand même une fois. Peut-être plutôt avec L’amant.

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