
Ulf, c’est-à-dire loup en suédois, Ulf Norrstig est un homme vieillissant, jadis garde chasse et toujours chef de chasse de son village de Loasen dans le Hälsingland. Là, ils sont une poignée à attendre avec impatience de pouvoir tirer les cerfs, les élans, les lièvres, mais pas les loups, c’est interdit. Pourtant, il y en a que la gâchette chatouille. Ulf était de ceux là mais à l’aube de ses soixante-dix ans, il a vu un loup et cette rencontre l’a bouleversé.
« J’ai vu un loup », phrase qu’il répète comme un mantra qui signe sa conversion. « J’ai vu un loup » sont des mots simples, qui disent l’évidence mais il les garde pour lui, ne souhaite pas partager cet émerveillement, pas même avec Inga, sa femme depuis près de cinquante ans. Et aussi parce que cette sensation qu’il expérimente est si nouvelle qu’il n’arrive pas à trouver les mots.
Tenter de m’approcher de lui avec des mots était difficile, d’ailleurs je n’osais pas vraiment. Il n’est jamais simple de décrire un être vivant. Lui donner un nom était probablement une tentative de l’appréhender et d’établir un lien.
Pour la première fois, le vieux chasseur ébloui tente donc d’entrer en relation avec la nature plutôt que de la détruire à coups de fusil. Il se heurte bien sûr à ses collègues chasseurs. D’autant plus quand il décide de ne pas poursuivre le loup qui a décimé un troupeau de brebis. Il doit abandonner son poste de chef de chasse, et il range même son fusil, lui qui chassait depuis l’âge de douze ans. Il se replonge dans ses carnets de chasse qu’il a toujours connu, pour tenter de comprendre pourquoi il a pris tant de plaisir à tuer de magnifiques animaux.
Et il s’interroge, se pose des questions sur ses pratiques de garde forestier, sur celles de son père et de son grand-père avant lui. C’est tout son rapport à la nature qu’il remet en cause.
J’ai commencé à remettre en question ce qui m’avait animé, mes raisons justement. Toutes celles qui m’avaient poussé à agir. À tuer. À exécuter des plans.
Cette remise en cause est aussi due à son état de santé. Fragile du coeur, Ulf est de plus en plus dépendant aux médicaments. La vieillesse l’affaiblit, la maladie rend plus tangible la mort prochaine. Et la nécessité de l’essentiel. La course du loup est épuisante, les forces manquent quand on arrive au bout et qu’il faut faire avec l’hostilité grandissante autour de soi, la méfiance…
La course du loup est un beau roman sur la vieillesse et la maladie, le rapport au corps vieillissant ainsi que sur la nature et la main mise de l’homme qui est avant tout destruction. La fin de vie d’Ulf si elle est renoncement dans bien des domaines ne signe pas la fin de son indignation, bien au contraire. Mais la vieillesse lui apporte un apaisement qui permet d’aller à l’essentiel et de reconnaître ses erreurs, d’interroger ses certitudes. Il n’a désormais que peu de moyens d’action sur la communauté, son rôle politique est réduit, mais il a trouvé un chemin intérieur, en plaçant la nature et le vivant au coeur de ses préoccupations et de sa vie.
La course du loup
Kerstin Ekman traduite du suédois par Marianne Ségol Samoy
Denoël, 2023
ISBN : 978-2-207-16565-2 – 208 pages – 20 €
Löpa Varg, première parution : 2021
Me voici alléchée 😊. Merci pour cette belle chronique.
J’espère qu’il te plaira si tu le lis.
Cela me parait en effet très beau!
Il est aussi pas mal question des paysages et du climat suédois (étés caniculaires), auxquels je n’ai pas fait de place dans mon billet.
Beau et émouvant, on dirait
Oui : la façon dont cet homme change et s’interroge suite à sa rencontre avec un loup est touchante et très intéressante.
Il y en a des auteurs ! Encore un inconnu pour moi ! On manque vraiment de temps pour découvrir tous les auteurs qu’on voudrait lire !
Et dire qu’il y a des gens qui s’ennuient…
Intéressant comme thème : la vieillesse et l’approche de la fin ça vous change un homme .. Remettre en cause ce que l’on a fait toute sa vie ça demande un certain courage. Je vais voir si la bibli l’achète, sinon j’attendrai le poche.
J’avoue que ce qui m’a d’abord attirée est le thème de la rencontre avec le loup, mais celui de la vieillesse est également bien traité.
Trouver « la nécessité de l’essentiel », voilà un programme de lecture qui me tente bien !
Je crois que pour le savoir il faut en faire l’expérience : beaucoup de choses dans nos vies nous semblent indispensables, tout ce qui est lié à notre confort par exemple, et en fait pas tant que ça…
Un chasseur repenti ? J’hésite entre le lire ou l’offrir à certains de ma connaissance qui ont la gâchette facile… bon, je n’en connais pas tant que ça à vrai dire, je vais plutôt le lire !
Il faudrait trouver un chasseur prêt à remettre sa pratique en cause, pas facile…
Tu me donnes envie de découvrir Ulf.
J’espère que tu le pourras.
Encore un titre très tentant !
Oui, je suis la Grande Tentatrice !