
« Rien n’a de sens, je le sais depuis longtemps. Il n’y a donc rien à faire, je viens de le découvrir. » Alors Pierre Anthon, le héros de Rien de Janne Teller, élève de quatrième dans un collège danois, décide de monter dans un arbre, tel Côme, baron du Rondeau, pour ne plus en descendre.
Pierre Anthon passe désormais son temps à apostropher les passants en leur lançant des prunes pour leur faire comprendre que rien n’a de sens dans la vie. Ses camarades, agacés par sa conduite hors norme commencent à lui lancer des cailloux, puis lui intiment l’ordre de descendre. Comme cris et menaces ne changent rien, ils décident d’amasser des objets significatifs, qu’ils glanent d’abord chez les habitants, puis parmi eux, pour lui prouver que dans la vie, bien des choses ont un sens.
Peu à peu, le « jeu » prend une tournure perverse : celui qui vient de donner désigne le donneur suivant et ce dont il devra se séparer pour grossir le mont de signification. D’abord des objets classiques comme des chaussures ou un vélo, un ballon de foot ou une canne à pêche. Puis les élèves comprennent qu’ils ont enfin l’occasion d’être mesquins, voire méchants et on demande à la petite Coréenne son certificat d’adoption, puis à la belle Rikke-Ursula ses cheveux bleus dont elle est si fière. Puis l’exercice tourne à la séance d’humiliation : le cadavre du frère de l’une, la virginité de l’autre, jusqu’au petit doigt du dernier. Le sordide mont de signification tourne au cauchemar et pourtant, comble de l’absurde et donc du non sens, il devient oeuvre d’art !
On sent bien que tout cela est très choquant et attise la polémique. On n’imagine pas des professeurs de collège proposer Rien de Janne Teller à leurs élèves. On les comprend et pourtant, voici un livre qui parle de cruauté à des jeunes qui n’en sont pas dénués et qui peuvent lire tout à loisir depuis longtemps Sa Majesté des Mouches. Le plus dérangeant n’est je crois pas la violence, mais le ton avec lequel les scènes les plus terribles sont rapportées : la jeune narratrice reste imperturbable, ou quasi, et ne s’émeut guère de situations que notre grand âge juge révoltantes car injustes et humiliante, portant atteinte à la dignité humaine. C’est certainement que ces jeunes ont un autre sens de la justice et un détachement inquiétant face à la violence. L’effet de groupe a également une importance considérable : l’un ne peut pas refuser de faire ce que les autres ont fait. C’est certainement ce que l’on appelle la spirale de la violence, mais c’est aussi un jeu de massacre aux charmes pervers que la narratrice ne semble pas rejeter.
On peut ressortir choqué, bouleversé, inquiet de cette lecture, mais aussi content : il est très rassurant de voir des éditeurs s’aventurer loin des bons sentiments et du préchi-précha pour adolescents qui a grands renforts de psychologie de base entendent livrer un message et aider l’ado (forcement perturbé, instable, en questionnement) à passer cette si dure période de la vie, hi, hi… On a juste ici le récit d’une adolescente, sans jugement, ni volonté d’édification. Juste la vie, ses contradictions, avec tout ce qu’elle réserve qu’on ne voudrait pas voir.
Rien
Janne Teller traduite du danois par Laurence W.Ø. Larsen
Panama, 2007
ISBN : 978-2-7557-0276-7 – 134 pages – 12,50€
Intet, parution au Danemark : 2000