Algues vertes d’Inès Léraud et Pierre Van Hove

Ah la Bretagne, ses fest-noz, son caramel au beurre salé, ses sentiers douaniers ! Les petits villages de pêcheurs si pittoresques, les belles plages sauvages déchiquetées par la mer… Sauf que derrière ces images d’Epinal, la réalité est moins glamour. La Bretagne c’est aussi et surtout (quand on ne parle pas tourisme) l’agriculture intensive et la première région productrice de porc (et de viande en général). Des porcs qu’on ne voit absolument jamais nulle par dans la campagne car ces pauvres bêtes passent toute leur vie enfermés entre quatre murs sans pouvoir bouger ni voir la lumière du jour. Pour que vous puissiez manger du jambon… (bon, je m’égare, j’ai prévu de parler BD…). Moi qui vous parle depuis la Bretagne Nord, le Trégor très exactement, la région c’est aussi celle des algues vertes.

Les algues vertes ne sont pas que des déchets verts et puants qui font tache dans le paysage estival et qu’on s’empresse de ramasser pour que les touristes ne s’enfuient pas. Les algues vertes tuent des animaux et des êtres humains depuis plusieurs décennies. Le coupable : l’hydrogène sulfuré (H2S) issue de l’élevage intensif du porc. C’est de notoriété publique mais les pouvoirs, qu’on dit publics aussi, se démènent jusqu’en plus haut lieu pour prouver le contraire. Parce qu’il ne faut pas toucher à l’agriculture, parce que le lobby de la viande est puissant, parce que le tourisme est une ressource essentielle à la région.

On est pris de nausée en lisant Algues vertes d’Inès Léraud et Pierre Van Hove. À la fin, on vomit. C’est pourtant un livre très instructif sur le mensonge organisé par les instances dirigeantes à tous les étages. Quand l’État a intérêt à mentir, il n’a aucun mal à jeter le discrédit sur les lanceurs d’alerte, à faire disparaître des documents, à noyer toute velléité d’information sous des tonnes de paperasses… Rien ne doit entraver le profit des puissants, même pas la santé des citoyens et la mort de quelques-uns.

Ce qu’il y a de bien dans cette bande dessinée très informée (Inès Léraud, journaliste, a vécu en Bretagne) c’est qu’elle cite les noms de ceux qui ont cherché à (au mieux) minimiser la toxicité des algues vertes : Yvon Bonnot, maire de Perros Guirec de 1981 à 2013, François Bouriot, Yannick Hemeury, président du comité local des pêches de Lannion-Paimpol depuis 1989 (et chevalier dans l’ordre du Mérite maritime…), Nicol Environnement, société spécialisée dans les déchets industriels appartenant à une société filiale du groupe Bouygues, Jean-Yves Le Drian, président socialiste du conseil régional de Bretagne, Jacques Jaouen, président de la chambre d’agriculture et membre de la FNSEA, Georges Gallardon, président de Triskalia (groupe agroalimentaire), Rémi Thuau et Jean-Louis Fargeas, préfets des Côtes d’Armor, Frédéric Maignan, directeur de la communication de la préfecture, Philippe de Gestas de Lespéroux, sous-préfet… et beaucoup d’autres.

Par ailleurs, tout est mis en œuvre pour redorer le blason breton mis à mal par cette crise des algues vertes. TV Breizh, détenue à 100 % par TF1 (donc par Bouygues) ; le lobby « Breizh Europe » chargé de défendre les intérêts de l’agroalimentaire en Europe et le lobby « Agriculteurs en Bretagne » chargé lui de redorer l’image du paysan breton (Ah, le slogan « Fabriqué en Bretagne » : une valeur sure ! ). C’est du travail de longue haleine, très insidieux car il ne dit pas ce qu’il fait. Les lobby soutiennent le club « En avant Guingamp », la Route du Rhum, influence l’enseignement agricole à travers les enseignants qui en sont membres.

Inès Léraud a rencontré beaucoup d’oppositions en écrivant cette bande dessinée. Tout comme ceux qui ont pointé du doigt la toxicité des algues vertes depuis les années 80. La journaliste a été attaquée en justice pour diffamation. Tout comme ceux qui tentent de nous informer : il est impossible de faire cesser l’omerta sur l’agroalimentaire breton. Il ne faut pas dire aux gens qu’ils mangent de la merde, il faut les laisser s’empoissonner pour que les grands groupes continuent à s’enrichir et les agriculteurs à se suicider.

Si j’ai remis le nez dans cette bande dessinée c’est parce qu’un film réalisé par Pierre Jolivet s’est tourné à l’automne là où j’habite, dans la région de Lannion. Mais pas à Saint-Michel-en-Grève, LA plage d’où tout est parti et la plus touchée par les algues vertes, au demeurant magnifique : le maire, François Ponchon, a refusé d’aider le tournage de quelque manière que ce soit.

La grande question dans la presse locale était alors : la région Bretagne va-t-elle octroyer une subvention au film ? Des articles toutes les semaines, une vraie série à suspens avec bien entendu des avis très divergents sur la question. Et l’équipe du film qui rencontre les mêmes problèmes qu’Inès Léraud au moment de son enquête : la population qui soutient mais les élus et dirigeants locaux qui au mieux rechignent. Quand le film va sortir, j’imagine que les cinémas vont être pris d’assaut !

Pourtant, j’aimerais lancer un message à mes voisins, plus ou moins proches, qui se désespèrent de voir le littoral de notre beau Trégor verdir chaque été. On a imaginé beaucoup de choses pour éviter la prolifération d’algues vertes. Parfois très farfelues, souvent très coûteuses. Pourtant, quand un élevage de porc demande une autorisation d’extension, elle l’obtient généralement. Or, si les éleveurs demandent une extension, c’est qu’ils vont élever plus de porcs qui rejetteront encore plus de merde qui alimentera la production de H2S. Et s’ils veulent élever plus de porcs, c’est parce qu’ils sont sûrs de les vendre. Et s’ils sont sûrs de les vendre, c’est parce qu’il y a une demande. Arrêtez de manger du porc et il y aura beaucoup moins d’algues vertes. Je hais de tout mon coeur l’industrie agroalimentaire mais regardons d’abord notre assiette : CHACUN EST RESPONSABLE DE LA PROLIFÉRATION DES ALGUES VERTES. Mais personne ne suggère de réduire la consommation de viande de porc en France car il ne faut pas faire de tort aux agriculteurs…

Arrêtez de manger du jambon de merde qui n’est en rien bon pour votre santé ; idem pour le poulet. Amis bretons, amis lecteurs, mes chers concitoyens : soyez cohérents !

 

Algues vertes. L’histoire interdite

Inès Léraud et Pierre Van Hove
Delcourt, 2019
ISBN : 978-2-413-01036-4 – 159 pages – 20 €

 

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9 commentaires sur “Algues vertes d’Inès Léraud et Pierre Van Hove

  1. comment ne pas être d’accord? Néanmoins, si je mange encore de la viande, c’est peu et je l’achète dans une ferme avec des cochons et autres dans les prés ( au point que les sangliers des forêts voisines viennent draguer les truies la nuit pour faire des petits porcelets métissés qui eux vivent toute leur vie sans être emmerdés ). J’ai vu -et senti – ces algues vertes dans la presqu’île de Crozon, si belle mais aux plages verdies et empuanties et empoisonnées.

  2. Je veux le lire depuis longtemps ; tu as bien fait d’écrire un billet, je l’ai réservé à la bibliothèque dans la foulée. J’avais écouté une émission avec Inès Léraud. C’était édifiant ! le moins qu’on puisse dire c’est que le monde économico-politique n’a ni foi ni loi. J’ai entendu il y a peu le réalisateur du film, qui expliquait les difficultés de tournage. Je pense que c’était dans « la terre au carré » ou équivalent. Je vais me précipiter sur le documentaire quand il va sortir.

  3. J’ai eu l’occasion de les voir lors d’un séjour à Etables, il y a 4 ans (l’accès à la plage avait été interdit). Ca fait longtemps que je ne consomme plus de jambon ni de charcuterie en général, mais c’est difficile de faire évoluer les comportements des consommateurs. Le problème c’est que beaucoup se foutent comme de leur première chemise de la souffrance animale ou de la dévastation environnementale, tant qu’ils peuvent commander tout ce qu’ils veulent sur Amazon et s’enfiler une entrecôte tous les dimanches…
    Bon, je note en tous cas cette BD, qui semble traiter du sujet en profondeur, et sans langue de bois !
    Je vais de mon côté bientôt lire « Texaco », une BD aussi, sur la lutte de citoyens équatoriens contre la compagnie pétrolière qui a pollué une partie de l’Amazonie, bref on est un peu dans le même thème (malheureusement) !!

    1. Ceux qui commandent tout ce qu’ils veulent sur Amazon et s’enfilent une entrecôte tous les dimanches sont les mêmes qui râlent contre les algues vertes, d’ailleurs ils ne voient pas le rapport entre nos comportements (enfin les leurs pour le coup) et la dévastation d’à peu près tout. Je deviens de plus en plus pessimiste quant au genre humain : très majoritairement, les gens sont cons…

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