Ma transhumance d’Antoine de Baecque

L’écrivain historien et marcheur Antoine de Baecque décide de mettre ses pieds dans les pattes des troupeaux qui jadis empruntaient en masse les chemins vers les alpages. Far la routo, transhumer, se faisait de juin à octobre avec des troupeaux de parfois six cent mille bêtes. Six cent mille, ça fait beaucoup de brebis et quelques bergers depuis les plaines de Basse Provence aux vallées alpines du Piémont, en Italie.

Ce monde a pratiquement disparu depuis les années 50, la modernité et les voitures. Les troupeaux gênent la circulation, piétinent la montagne et font tache dans le paysage. Tout comme leurs bergers. Le mouton a fait la richesse du pays, grâce à sa laine, mais ce n’est pas un animal noble. On lui a préféré le savon de Marseille, les stations de ski et les touristes. Alors la routo a périclité. Mais aujourd’hui, elle est devenue le GR69 à force de volonté, d’archives et de passionnés. Antoine de Baecque est l’un d’entre eux.

Ce chemin, qu’on nomme en occitan la routo, sur 450 kilomètres, traverse les plaines de Provence, à partir de la Crau, et monte progressivement, sous la Sainte-Victoire, vers Valensole, à 800 mètres d’altitude, à travers Canjuers, à 1 000 mètres, avant, par le vallon de Saint-Jeannet, d’atteindre Digne, préfecture endormie sous la chaleur de l’été. Puis le sentier passe par trois cols principaux, le Labouret, le Bernardez, le Restefond, monte raide avant de baigner les alpages d’estive, entre 2 000 et 3 000 mètres, où près de trois cent mille bêtes se retrouvent entre juin et octobre.

Mais aujourd’hui, elles y arrivent en camion (la transhumance à pied est interdite, sauf exceptions très précises dans le Var). Antoine de Baecque lui, a fait la route à pied et ce livre est un carnet sur lequel il écrit ses impressions, ses états d’âme, y compris amoureux : cette route, espère-t-il, sera l’occasion de renouer les liens amoureux avec sa femme à travers une correspondance et lors de trois jours de marche commune. Le récit n’est pas exempt de répétitions car de Baecque recopie aussi les compte-rendus qu’il adresse à différents correspondants. Par contre, pas de langue de bois. Si la montagne est belle, comme chacun sait, le GR qui emprunte la départementale, c’est la plaie, le tourisme de masse aussi, et les golfeurs sont « des arrivistes m’as-tu-vu qui sillonnent les greens dans leur tenue ridicule, suivis par leur caddie et leur petite voiture électrique ».

Antoine de Baecque ne cache pas ses difficultés de marcheur, le mal de pied, le manque de sommeil (difficile de se faire au rythme des brebis quand il marche derrière elles), la météo. Il ne passe pas sous silence ses contradictions de bourgeois parisien et cinquantenaire tellement content de trouver un bon lit d’hôtel à chaque étape et de soulager parfois sa peine en faisant du stop.

Je ne connais que très peu les paysages décrits. Ce qui m’a intéressée, c’est de comprendre comment et pourquoi quelques personnes décident de ressusciter les chemins de transhumance. L’association Maison de la transhumance a d’abord fouillé le cadastre, les archives, avant d’aller sur place tracer le parcours et obtenir que les randonneurs y aient accès. C’est aussi d’en apprendre plus sur les bergers, ceux d’aujourd’hui, qui sont pour moitié des bergères. Le métier a évolué mais cette culture est toujours vivante. S’il reste encore un marginal, le berger se forme à l’école du Merle dans la Crau où il apprend à faire manger ses bêtes là où il faut, à les soigner, à mener ses chiens. Et depuis une trentaine d’années, à se méfier du loup, de retour par le parc du Mercantour.

Antoine de Baecque participe en historien, en écrivain et en marcheur au revival de la routo, nous livrant des carnets stimulants. Arte l’a suivi pendant un bout de chemin ce qui a donné un film : Sur la route des bergers.

Antoine de Baecque sur Tête de lecture

 

Ma transhumance. Carnets de routo

Antoine de Baecque
Arthaud, 2019
ISBN : 978-2-0813-9093-5 – 371 pages – 19,90 €

 

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16 commentaires sur “Ma transhumance d’Antoine de Baecque

  1. Je ne suis pas assez randonneuse pour maîtriser le trajet, même si je connais quelques bouts du chemin. Ces paysages ont tellement rapidement changé ! J’aime bien la curiosité érudite et éclectique de l’auteur, entre randonnée, 18e siècle et cinéma !

    1. Parce que le très grand nombre de bêtes fait des dégâts, parce que les routes ne sont plus adaptées et que les brebis marchent trop lentement : elles bloquent la circulation des voitures.

  2. C’est moins mes thèmes de prédilection mais tu viens de me donner une super idée de cadeau pour quelques personnes de mon entourage.:)

      1. Je pratique la randonnée dès que je le peux. Marcher, observer, prendre le temps… ça fait du bien et ça permet de relativiser les choses

  3. encore un livre que je devrai lire ou aller marcher un peu … cela me ferait le plus grand bien. (Le mail qui annonce la parution de tes billet va dans les spams je dois être vigilante )

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