Nous sommes l’étincelle de Vincent Villeminot

Nous sommes l’étincelle de Vincent Villeminot a obtenu le prix du roman d’écologie en 2020. J’étais très curieuse de le découvrir et bien m’en a pris car c’est un très bon livre, un roman furieusement intelligent sur le rêve écologique qui peut, ou pas, se transformer en dictature, voire en cauchemar. Je ne suis pas certaine de bien lui rendre justice en ces quelques lignes, tant il est riche. En quelques cinq cents pages, Vincent Villeminot traite de retour à la terre, de violence sociale et institutionnelle, de vivre-ensemble et de contrat social.

Le roman se déploie sur plusieurs décennies. Tout commence en 2025 par un ras-le-bol de la jeunesse qui, aussi brillante soit-elle décide de dire non à l’avenir qu’on lui trace. Comme un certain Thomas F. auteur de Do Not Count on Us, ils décident de faire Sécession. Pour la planète, pour la liberté.

La colère des jeunes gens flambe. Ils n’en peuvent plus d’être des quantités négligeables. Ils caillassent des agences bancaires qui n’ont pas e crédits pour eux ; lancent des assauts contre les agences pour l’emploi qui ne leur proposent que des stages ; démontent des caisses d’allocations garantissant des pensions de retraite qu’ils ne percevront pas… […]

Ils se méfient des grands mots, « chaos », « révolution », « communisme », mots usés par les échecs. Ils savent qu’on va dans le mur et qu’on finira par perdre, et que ceux qui perdent le plus, dans ce cas, ce sont toujours les pauvres.

Partir, tout abandonner, vivre dans la nature par ses propres moyens, dans de petits villages, sans chef. Une utopie, une utopie de plus. Car chaque génération a la sienne, faite de rêves, d’espoir, de mieux être. Mais Vincent Villeminot ne nous fait pas un récit du genre Larzac, chèvres et bol de riz, non. On sait que tout ça va mal finir.

Parce qu’on ne quitte pas comme ça le système. Parce que le pays a besoin de sa jeunesse, il faut la faire entrer dans le rang. Pour son bien. La répression s’installe, les interdictions, les lois, au nom d’une dictature verte qui a pris le nom d’écologie. Ou d’économie de transition. Comme aujourd’hui, quand un pseudo ministère de l’écologie fait des méga bassines un outil vers la transition écologique alors que ce n’est que de la démagogie, de la croissance verte qui a tout faux. Avec les interdictions (d’entrer dans les forêts, de manger de la viande) viennent la délinquance et la contrebande. Car les mesures sont aussi extrêmes qu’absurdes, prises sans concertation par des gouvernements insanes.

Le lecteur suit donc ces jeunes gens révoltés d’une part, mais aussi trois enfants qui, à plusieurs décennies de là, vivent dans la forêt, semble-t-il en autarcie. Mais pas tant que ça puisqu’ils se font enlever par un commando de braconniers qui les emmènent… où ça ? Adam leur père et Aliss leur mère se mettent en route séparément pour les sauver. On apprendra peu à peu pourquoi ils vivent ainsi dans la forêt.

Nous sommes l’étincelle nous dit que chacun fait ses choix et que les plus mauvais aux yeux du monde peuvent être une voie. Paul choisit la violence des stades. J’ai trouvé les passages qui le concernent excellents tant ils sont à contre-courant, loin de toute bien pensance et sans démagogie. Il n’y a pas de leçons dans ce roman, mais des voies qui s’explorent sans jugement. Ce thème de la violence est central car elle est consubstantielle à toute société. Dès qu’il y a deux êtres humains, il y a violence. Tous les textes fondateurs le disent. Aucun contrat social ne garantit la paix. Car aussi juste et bienveillante que soit une communauté, il y aura toujours ceux qui la refusent, l’envient, l’affrontent et donc la détruisent.

C’est sans doute profondément pessimiste et pourtant le roman ne l’est pas. Car il dit à cette belle jeunesse qu’il faut essayer, que mieux vaut vivre loup un temps que chien toute sa vie.

Que dire de plus si ce n’est que la construction entretient l’envie de tourner encore et encore les pages et que la langue n’hésite jamais à se faire poétique. Car Nous sommes l’étincelle est un texte intergénérationnel mais exigeant à tous les niveaux envers les jeunes générations.

… ils sentent trembler la chaleur du bitume qui poisse… Le bleu du ciel est poussiéreux, les nuages ont des ombres jaunes. On croirait une photo surexposée tirée au polaroïd et qui aurait vieilli quelques années dans un tiroir, ou sous un ciel de Delacroix. A leur droite, à leur gauche, ce sont les oliveraies. Les arbres gris vibrent d’argent dans les champs de paille sèche ; les feuilles sont immobiles, il n’y a pas un souffle d’air. La plaine d’Ombrie est immense, plate, au pied de la colline : les cyprès, en litanies, bouquets, pelotons noirs, le damier des cultures, pâtures d’un vert amande fade ou métallique, ocres doux et terres de Sienne…

 

Nous sommes l’étincelle

Vincent Villeminot
Pocket Jeunesse, 2019

ISBN : 978-2-266-29091-3 – 510 pages – 18,90 €

 

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18 commentaires sur “Nous sommes l’étincelle de Vincent Villeminot

    1. Oui, mais il ne faut pas s’arrêter à cette classification. Elle m’a étonnée, c’est aussi pour ça que j’ai lu ce livre : pourquoi alors que tant de livres sont publiés donner le prix du livre d’écologie à un roman « jeunesse » ?

      1. Les classifications des biblis, parfois je me demande… Ils ne peuvent tout lire, mais quand même.

  1. Je n’ai pas lu ce roman mais je suppose que les biblis le classent en littérature de Jeunesse parce que l’éditeur l’a publié sous un label « Ados & Young Adults » (à partir de 13 ans). J’avoue que, pour ma part, j’ai plusieurs fois été surprise aussi par les choix éditoriaux des collections pour la jeunesse…
    Ce roman, en tout cas, offre de nombreux sujets de réflexion, me semble-t-il.

  2. Moi, je suis un peu molle du bulbe en ce moment … Mais je note quand même ce roman dont les thèmes me causent bien, évidemment, surtout si ce n’est gnan gnan bien pensant.

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