
La quatrième de couverture l’affirme : J.R. Dos Santos est « l’un des plus grands auteurs de thrillers scientifiques en Europe ». Nous voilà prévenus… sauf que de thriller il n’y en a pas dans Âmes animales qui se révèle être un pensum sur la condition animale. Et c’est bien dommage car c’est parce qu’il traite justement de ce sujet qui m’intéresse beaucoup que j’ai choisi de lire ce roman écrit donc par « l’un des plus grands auteurs de thrillers scientifiques en Europe » qui est aussi présentateur du journal télévisé au Portugal. Si vous voulez une hagiographie, vous pouvez lire celle écrite par son éditrice : cet homme saurait tout faire… sauf à l’évidence écrire des thrillers scientifiques sur la condition animale…
On retrouve l’historien Tomas Noronha, personnage récurrent de Dos Santos. Sa femme Maria Flor est bénévole dans une association qui milite pour la cause animale, GreenNaturae. L’éthologue Noé Vandenbosch y travaille en tant que spécialiste de l’intelligence animale. On retrouve son cadavre flottant dans un réservoir de l’Oceanario de Lisbonne : on l’y a jeté pour qu’il soit tué par les orques. L’inspecteur chargé de l’enquête trouve dans le sac à main de Maria Flor des documents très compromettants qui justifient son arrestation. Heureusement, elle parvient à enfermer ce benêt dans les toilettes et à s’enfuir avec l’aide de son mari : ouf !
On se croirait dans un Laurel et Hardy…
Les aberrations de l’intrigue ne font que commencer. Le couple Noronha se précipite chez Noé pour tenter de comprendre pourquoi il a été assassiné et par qui. La police portugaise qui est tellement niaise n’a pas cette bonne idée (ils ont donc le temps de philosopher pendant des heures tout en cherchant mollement un dossier qui pourrait innocenter Maria Flor). Ce n’est que grâce à leurs téléphones portables qu’elle localise les deux fuyards. S’enchaînent alors des scènes dont certaines frisent le ridicule. Noronha vient de se battre avec le directeur de GreenNaturae qui l’a ligoté et attend la police. Ce faisant, le directeur discute avec son prisonnier comme s’ils prenaient le thé. Il lui explique en long en large et en travers que les animaux éprouvent de l’amour, qu’ils peuvent être artistes et ont même inventé la perspective bien avant les humains.
Pour moi, le problème majeur de ce roman est là : c’est un compendium de ce qu’on sait de l’intelligence et de la sensibilité animale. Pendant des pages et des pages, Noé ou Maria Flor ou un autre protagoniste expliquent à un candide béa (qui répond par des « ah c’est formidable ! », « oh mon dieu c’est horrible! ») les expériences plus ou moins récentes faites pour démontrer que les animaux communiquent entre eux et avec les humains et qu’ils sont capables de sentiments et d’émotions. Bref, que ce ne sont pas des « robots complexes qui émettent des réponses automatiques à des stimuli extérieurs » (malgré Descartes).
C’est d’autant plus ennuyeux qu’aucune intrigue digne de ce nom ne soutient ces tartines démonstratives. Au contraire, les protagonistes discutent comme s’ils n’avaient pas la police aux trousses. Parfois, on est proche de la démonstration pour débiles mentaux :
Tu ne sais donc pas dans quel état est la planète ? demanda-t-elle d’un ton professoral. Les températures augmentent, les calottes glaciaires fondent, le niveau de la mer monte, les forêts disparaissent, l’humanité est en train de consommer toute l’eau potable et les ressources naturelles s’épuisent. Nous allons droit dans le gouffre et… et… nous devons faire quelque chose.
J’ai lu ici et là que Dos Santos aborde ensuite le thème de l’élevage intensif et des abattoirs. Je ne suis pas allée jusque là, j’ai arrêté ma lecture à la moitié environ car je n’en pouvais plus de perdre mon précieux temps de lecture (ma liseuse me dit que j’en ai lu 59%). Je ne pense pas que ce roman pourrait m’apporter plus que je ne sais déjà sur le sujet car j’ai beaucoup lu et lis encore sur les animaux et la condition animale autant des articles scientifiques que des fictions. Je m’intéresse particulièrement à la façon dont les écrivains donnent la parole/mettent en mots/décrivent les animaux, la nature et l’environnement en général. Ces romans-là sont de plus en plus nombreux. Et la plupart ne se contentent pas de recracher des ouvrages ou articles scientifiques : ils s’efforcent de construire une intrigue.
J.R. Dos Santos s’est donc emparé d’un sujet dans l’air du temps. Il a beaucoup lu et écrit donc une sorte de synthèse qu’il a choisi de présenter comme un « roman », en fait un cours magistral. Alors que le sujet est passionnant, le résultat est d’un ennui total.
Dans une note finale, Dos Santos écrit :
Le défi pour ce roman a consisté à tisser une histoire autour de la conscience animale, de l’intelligence et des émotions des animaux, une intrigue où les animaux seraient eux-mêmes à la fois le thème du livre et les protagonistes, mais d’une manière différente de celle qui est habituellement employée lorsque les animaux jouent un rôle dans une fiction… pour ce faire, j’ai choisi le roman policier, même s’il est évident pour moi que ce livre ne peut être décrit stricto sensu comme un policier.
Un peu de clairvoyance ne fait jamais de mal…
Je pense que je suis en colère contre tous ces gens qui s’emparent de thèmes tendances pour les traiter comme ils traiteraient de n’importe quoi, pour faire un livre de plus (ou un film, ou une émission télé…). Je ne sais pas si ces pages peuvent faire réfléchir qui que ce soit sur son régime alimentaire puisque je ne suis pas allée jusqu’à la fin. Si c’est le cas alors c’est à mettre au crédit de ce roman.
Mais ce qui me chiffonne et me pousse à penser qu’il ne s’agit que d’un roman à la mode c’est que l’éthologue de Dos Santos sonne faux, lui n’a pas d’âme. Sinon pourquoi, alors qu’il a tant étudié sur les sévices infligés aux animaux, habille-t-il sa femelle chimpanzé comme un humain ? Pourquoi boit-elle du gin ? Pourquoi lui-même mange-t-il du bon poulet au barbecue ?
Pour ceux que le sujet de la condition animale intéresse, voici quelques liens ci-dessous vers des fictions bien plus réussies et une bibliographie non exhaustive. Et pour ceux qui veulent vraiment savoir ce que c’est que l’élevage intensif, les vidéos de l’association L214 informeront mieux que n’importe quel roman. Si vous n’osez pas sauter le pas, la vidéo ci-dessous fait le job, avec humour.
José Rodrigues Dos Santos sur Tête de lecture
Âmes animales
José Rodrigues Dos Santos traduit du portugais par Catherine Leterrier
HC Editions, 2022
ISBN : 978-2-35720-671-7 – 571 pages – 22 €
O Jardim dos Animals com Alma, parution originale : 2021
Je vais passer mon tour pour le livre de JR Dos Santos. En revanche, ta biblio m’intéresse. Pour ma part, j’ai lu un roman de science-fiction coréen plutôt plaisant qui aborde la condition animale (ce n’est pas le sujet principal du livre mais il couvre une bonne part de l’intrigue). Il s’agit de « Bonobo » de Jeong You-jeong. Je consulte aussi de temps en temps la rubrique « Livres » sur le site Internet de la fondation 30 millions d’amis
https://www.30millionsdamis.fr/conseils/livres/
Merci pour ces conseils Alex : Bonobo est sur ma liste mais je n’avais pas pensé à la rubrique « Livres » de 30 millions d’amis.
J’aime beaucoup lire des avis négatifs sur des livres. D’abord ça m’évite de me sentir mal de ne pas l’avoir lu , et en plus cela fait la preuve que les blogs que je suis sont capables d’avis négatifs.
Heureusement qu’il y a encore des avis négatifs sur la blogo littéraire, on ne serait que des publicitaires sinon… Un des problèmes selon moi, c’est qu’il est plus difficile et plus long d’écrire et argumenter un avis négatif. Mais c’est indispensable. Et puis je crois aussi que certains blogueurs ont fait le choix de ne chroniquer que ce qu’ils aiment, ça se défend…
Un bon dézingage de temps en temps, ça détend. 🙂 Surtout quand on estime que c’est bien mérité. Perso je préfère dézinguer des romans à succès parce qu’au moins je n’ai pas le sentiment de faire du tort à un pauvre auteur qui a fait de son mieux (même si ça n’est pas une excuse) Le vendeur de best seller se fiche de mon avis.
Je suis entièrement d’accord pour ces deux réponses. Oui, dire pourquoi on n’a pas aimé est beaucoup plus difficile et de plus, moi aussi ça m’ennuie de dire du mal d’un livre parce que je suppose que l’auteur y a mis tout son cœur à défaut de talent. Je précise toujours que c’est mon ressenti, ce qui suppose que d’autres peuvent aimer, ce qui est d’ailleurs le cas avec le dernier livre que j’ai chroniqué , j’ai vu Babelio que pour certains lecteurs c’était un chef d’œuvre.
Les avis divergents font la richesse de la blogo et je crois que les gens qui lisent nos chroniques cherchent avant tout la sincérité sinon ils liraient des comptes rendus d’éditeurs.
L’avis lu récemment chez A_girl_from_earth ne m’avait pas attirée vers cet auteur, tu t’en doutes ! Vous êtes tout à fait d’accord sur l’indigence des histoires, même si les sujets sont différents.
Je vais plutôt allez lire la biographie que tu proposes.
J’ai déjà lu un livre de cet auteur, sur Christophe Colomb. Il était mieux, même si cette tendance à vouloir tout dire de façon indigeste était déjà là.
Ahaha, au moins tu m’auras bien fait rire ! J’imaginais tellement ta déconvenue à mesure que tu avançais dans le livre, l’ayant vécu moi-même. Bon, j’aurai tout de même trouvé satisfaction dans les thèmes du mien. Et on est d’accord, on a l’impression qu’il prend ses lecteurs pour des demeurés…
Le problème je crois c’est que cet auteur ne sait pas faire un roman avec les connaissances acquises. Il lit tout un tas de choses sur un sujet puis il les plaque dans des dialogues insupportables, comme des articles Wikipédia : c’est pénible.
J’ai regardé la vidéo sur les poulets à la fin (et il y a une mine d’autres vidéos!) (Si ce n ‘était déjà fait, j’arrêterais le poulet! )
Après A girl, tu en remets une couche sur cet auteur.
(j’avoue faire partie des gens qui ne parlent pas de toutes leurs lectures, il s’agit souvent d’abandons, et même, oui, de livres aimés mais j’ai la flemme d’écrire un billet)
Oui, les deux compères de la vidéo en ont produit de nombreuses, toujours excellentes, un humour très noir et peur de rien : j’adore !
Bon, j’avoue que je n’ai pas regardé la vidéo jusqu’au bout ( j’ai arrêté à l’abattage). Et dans ta bibliographie, il y a peu de titres que je connaisse … Mais Venciane Despret, si ! Tu as vu qu’elle est invitée à Etonnants Voyageurs cette année ? Cela donnera au moins une visibilité à ses idées.
Je ne suis pas à Saint-Malo cette année. Et oui, ce qu’écrit Vinciane Despret est très intéressant (il faut que j’écrive un billet sur le poulpe..).