Au revoir là-haut d’Albert Dupontel

Au revoir là-haut d'Albert DupontelLa voilà enfin l’adaptation de Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013 et grand succès populaire. J’avais été déçue par l’adaptation en bande dessinée qui ne laissait aucune part à l’humour si particulier de Pierre Lemaitre, aussi n’était-ce pas sans appréhension que je suis entrée dans la salle de cinéma. Par contre, c’était sans a priori puisque je ne connais d’Albert Dupontel que son rôle dans Deux jours à tuer de Jean Becker.

Ce que je voulais voir, c’était l’adaptation d’un roman qui m’a plu. Je fais rarement ça, j’évite par exemple de voir ce que d’autres ont fait de livres que j’ai vraiment beaucoup aimés comme La Route ou Le Trône de fer : mon imaginaire me convient, il est moins sélectif qu’un film et souffrirait d’être réduit à l’aune d’une vision bien particulière. Mais Au revoir là-haut me semblait un roman qui ne devait pas avoir trop à pâtir de passer à la moulinette forcément réductrice d’une adaptation.

Et de fait, si j’en crois ma mémoire (j’ai lu le roman en août 2013…), tout y est quant aux personnages (sauf Madame Maillard, mais elle n’est présente que dans les pensées de son fils Albert) et aux événements. On ne peut pas dire que le scénario ne soit pas fidèle à l’oeuvre originale : l’épisode fondateur de la fin de la guerre (Edouard (Nahuel Pérez Biscayart) sauvant Albert (Albert Dupontel) puis vice-versa), le sadique lieutenant Pradelle (Laurent Laffite), le retour à la vie civile et la cohabitation des deux anciens combattants, l’arnaque aux monuments aux morts, les magouilles de Pradelle, les relations tendues entre les Péricourt père (Niels Arestrup) et fils… C’est beaucoup de fils narratifs pour un film de deux heures, c’est même trop et les événements s’enchaînent au détriment de l’émotion.

Ce qui manque se situe moins dans les faits que dans l’aspect historique. Si on voit qu’Albert et Edouard vivent modestement après la guerre, Pierre Lemaitre insistait beaucoup plus sur la situation des anciens combattants totalement abandonnés à leur sort. Il mettait en évidence la déchéance de ces hommes, de ces anciens héros devenus indésirables car de la guerre, on ne veut plus. La misère sociale si prégnante dans le roman est ici anecdotique.

On passe également presque à côté de toute la critique sur la machine de guerre de l’après-guerre, c’est-à-dire tous ces militaires à recycler (les formidables portraits qu’en fait Pierre Lemaitre manquent terriblement), les difficultés économiques du pays et dans une moindre mesure les profiteurs de guerre. Pradelle est censé symboliser ces derniers, mais ses magouilles semblent ici bien moindres.

Si le film contient indéniablement des scènes de comédie, elles n’ont pas le ton Lemaitre. Il manque son cynisme, il manque son style et sa voix. J’espérais que le film allait s’ouvrir sur les deux premières phrases du roman qui tout de suite donnent le ton (« Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre justement« ). Mais non, et j’ai senti se dessiner la déception.

Le film débute au Maroc en 1920 où Albert Maillard est interrogé par les gendarmes : il va raconter ce qui l’a amené là grâce à une série de flash back malvenus. Ensuite arrive la grande scène d’ouverture avec un chien qui court dans le no man’s land puis dans une tranchée en ce 9 novembre 1918. C’est très cinématographique, très grand angle mais pour ma part, l’image n’était pas d’une grande netteté. D’autres scènes, nombreuses, jouent la carte de la reconstitution historique. Le Paris des années 20 ressemble vraiment à une carte postale, il est très convenu et attendu, à l’image de la jeune Louise (Héloïse Balster), qui tient compagnie à Edouard.

La véritable invention esthétique réside dans les masques que le jeune artiste se fabrique pour cacher sa gueule cassée. Il montre à travers eux toute l’étendue de ses émotions et de sa créativité, lui que la société réduit au rang de handicapé improductif.

Albert Dupontel semble juste assez naïf et désemparé pour être crédible, il parvient à ne pas en faire trop. Le personnage de Pradelle par contre est vraiment trop appuyé dans la méchanceté et bascule du côté de la comédie. Il est dès lors plus risible qu’inquiétant alors que c’est un vrai méchant.
J’attendais Merlin (Michel Vuillermoz) avec impatience puisque ce fonctionnaire incorruptible est à mes yeux un des personnages les plus réussis du roman. Il est bien là, mais que la séquence est courte ! Madeleine Péricourt devenue Madame Pradelle (Emilie Dequenne) est elle aussi sacrifiée par le scénario.
Je ne sais plus s’il est un personnage du roman, mais j’ai beaucoup aimé le maire du VIIIe arrondissement qui offre un excellent contraste avec l’imperturbable Monsieur Péricourt.
Enfin le jeune Nahuel Pérez Biscayart aux magnifiques yeux bleus (importants car on ne voit de lui que son regard) parvient avec ses divers masques à exprimer la douleur, la solitude, la tendresse et la poésie du personnage d’Edouard.

Rien ne peut rendre compte du style d’un écrivain au cinéma, si ce n’est peut-être un voix off, mais Albert Dupontel n’a pas fait ce choix, quel dommage. Au revoir là-haut d’Albert Dupontel est certainement un meilleur film si on n’a pas lu ou beaucoup apprécié le roman, mais pour moi, l’oeil et la voix de Dupontel ne sont pas aussi réjouissants, fins et cynique que ceux de Pierre Lemaitre.

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Au revoir là-haut d’Albert Dupontel (2017)

Avec : Albert Dupontel, Nahuel Pérez Biscayart, Laurent Laffite, Niels Arestrup, Emilie Dequenne, Héloïse Balster, Michel Vuillermoz…
Durée : 1 h 58 – Sortie nationale : 25 octobre 2017

23 commentaires sur “Au revoir là-haut d’Albert Dupontel

  1. Ta critique est la première négative que je lis. Intéressant d’avoir un autre retour au milieu des nombreux éloges.
    J’attends beaucoup de ce film. J’adore Dupontel et je trouve son association avec Lemaitre judicieuse. Son univers colle à celui de l’écrivain.
    Difficile de faire un film avec un livre de 600 pages, il faut bien zapper des scènes. Tant que la chronologie est préservée et que les gros fils sont là moi ça me va. Tu regrettes une voix off pour lire le texte si je comprends bien ? C’est étrange comme procédé. Le style de l’écrivain on s’en fiche un peu au cinéma non ? (Sa plume je veux dire). Sinon autant lire le livre.
    Bref. Je vais le voir le week-end prochain. J’espère ne pas briser mon enthousiasme…

    1. Ma chronique n’est pas totalement négative, je crois, et surtout, elle ne concerne en fait que l’adaptation, moins le film en tant que tel (pour lui-même).
      « Tant que la chronologie est préservée et que les gros fils sont là moi ça me va. » et « Le style de l’écrivain on s’en fiche un peu au cinéma non ? » : voilà, c’est bien ça mon problème face au film : je voulais du Lemaitre et j’ai eu du Dupontel.
      Et la voix off n’est pas un procédé si étrange pour faire entendre le style d’un écrivain. Je pense par exemple à l’adaptation de 37°2 le matin de Djian par Beineix qui laissait une très large place au texte par ce procédé.
      J’espère en tout cas que le film te plaira.

      1. Dupontel a dit lors d’une de ses récentes interviews que porter sur écran un livre tel quel n’avait pas d’intérêt. Je le rejoins sur ce point-là. L’association entre réalisateur et écrivain est faite pour créer quelque chose en plus du livre, sinon autant s’en tenir à la lecture. Je suis souvent déçue par les films d’ailleurs parce que je trouve qu’ils s’éloignent trop de l’histoire justement. Mais j’attends aussi d’y trouver une manière de raconter différente, un autre ton. Que les deux se complètent finalement.
        Je crois que c’est parce que l’on n’a pas lu Au revoir là-haut de la même manière. J’avoue me souvenir surtout d’une histoire dense et forte. La plume de l’auteur (je sais qu’elle est excellente) est restée dans le passé.
        Je ne savais pas que le procédé se faisait… Mais je le trouve quand même bien étrange. Le réalisateur est censé être capable de se passer du texte, non ?
        Ta critique finit quand même sur une note négative 😉

  2. J’hésite depuis sa sortie… tu as raison, c’est souvent compliqué d’apprécier l’adaptation ciné d’un roman qu’on a aimé, surtout quand la force de ce roman réside dans son ton !

  3. Je l’ai vu avec la même attente et la même appréhension. On était quatre ; fiston et moi à se souvenir parfaitement du roman, l’homme, qui ne s’en souvenait plus bien, et fifille qui ne l’avait pas lu. Résultat : les deux qui ont vraiment aimé sont l’homme et fifille, fiston et moi, on attendait de voir comment Dupontel allait se tirer de telle ou telle scène, donc en fait, on n’a pas vu le film, mais vu l’adaptation. Avec le recul de trois jours, je me dis que finalement, ce film est quand même pas mal, parce qu’il me reste des scène hors roman dans la tête. Je te rejoins, il manque des choses, mais le roman est tellement dense qu’il me semble que le choix de garder plutôt le coté aventure populaire que celui de la satire sociale, se justifie aussi.

    1. Je suppose que ça dépend aussi de ce qu’on a le plus particulièrement apprécié dans le roman. Moi je crois que c’était cet aspect social mais surtout la plume de Lemaitre. Donc, là, j’avais tout faux pour apprécier le film. Et moi, j’y suis allée toute seule, personne avec qui discuter après la séance 😦

  4. Je suis en partie d’accord avec ton analyse, et pourtant j’ai beaucoup aimé le film. Parce que j’ai très vite mis de côté le roman que j’avais aussi beaucoup aimé (mais lu à sa sortie, donc plus très frais dans ma mémoire). J’ai aimé ce que Dupontel a fait de cette histoire, comment il y a mis sa patte, son univers, etc. C’est à la fois fidèle au roman dans ses grandes lignes, et différent. D’ailleurs c’est parce que j’ai entendu Pierre Lemaître dire combien il était bluffé par le résultat que j’ai eu envie de voir ce film, alors que je ne suis en général pas très attirée par les adaptations.

    1. Oublier le roman, c’est sans doute la meilleure façon d’aborder le film. Je tâcherai de faire ça à la prochaine adaptation 😉

  5. Je n’avais pas réussi à lire le roman de Pierre Lemaître (je venais de lire des romans d’Erich Maria Remarque sur le même sujet, et la comparaison avec « Au revoir là-haut » était assez terrible pour ce dernier) mais j’aime beaucoup Dupontel (découvert il y a quelques mois) alors je pense voir ce film un jour. De ce que tu en dis, son style ressort bien. Comme toi, je refuse de voir certaines adaptations, il y a des livres qui me semblent impossibles à adapter (pas forcément mes préférés) ou dont je préfère ma version.

  6. Je suis assez d’accord avec toi, il manque toute l’émotion poignante et sombre de Lemaître. A vouloir faire du Dupontel, et donc dans le comique, on passe à côté de beaucoup de choses que j’avais appréciées dans le roman. Ça m’a donné plus l’impression d’un vaudeville que d’une dénonciation historique. Après, ça reste globalement un bon film, et je ne doute pas que ceux qui n’ont pas lu le roman apprécie beaucoup. Et les masques et costumes sont magnifiques.

  7. J’ai fini le roman il y a peu, justement à cause de la sortie du film que j’ai eu peur d’avoir envie de voir sans avoir lu le livre (un cas de conscience terrible chez moi haha). Je n’ai eu pour l’instant que des retours positifs du film, du coup je reste curieuse malgré ta déception. Ce qui me motive particulièrement, c’est que justement, a priori il s’agit vraiment d’une adaptation, dans le sens littéral du terme, pas d’une tentative de porter le livre tel quel à l’écran, et du coup, ça m’intéresse de voir ce travail d’adaptation, surtout venant de Dupontel.

  8. N’ayant pas lu le roman j’ai trouvé le film très bien. Mais c’est aussi parce que je n’avais pas lu le bouquin que je suis allé voir le film : toute adaptation (ou presque disons…) ne peu qu’être décevante, de mon point de vue…

  9. une belle critique, toute en nuances! Je n’en ai entendu que du bien de ce film, mais la plupart venant de gens qui n’avaient pas lu le roman. Je le verrai, c’est sûr!

  10. J’ai appris l’existence du livre grâce au film, mais je ne sais pas pourquoi cette réalisation ne m’inspire pas confiance, j’attendrai la sortie en DVD…

      1. Il semblerait… 🙂 Le prix Goncourt ne m’intéresse que très moyennement, il me semble que j’en ai lu aucun. Ici, j’ai même dû vérifier le nom de l’auteur sur Google images pour voir qui c’est…

  11. J’avais adoré le livre et j’ai trouvé le film très réussi tout en déplorant comme toi deux ou trois choses essentielles absentes du film : le retour des soldats dont on ne sait que faire, le personnage de Merlin à peine esquissé … dommage. Cela reste un très très bon film en deçà du livre …

  12. Je valide absolument tout ce que tu écris… jai vu le film immédiatement apres avoir terminé le livre, qui du coup était trop frais dans ma tête… jai passé toute la séance à comparer, et oui merlin est un perso génial mais on le voit peu, madeleine est là juste pour la reference au bouquin mais elle sert pas à grand chose, et pradelle…. je n’ai pas aimé le choix de Laffite, que j’aime beaucoup au demeurant… et puis la fin est changée, et ça c’est pas possible, sacrilège. Meme si l’idée du film est bonne, je voulais ma fin, tragique et ironique, celle du bouquin…
    Bref, même pas eu le coeur d’en faire une vraie critique sur mon blog.
    Le roman est juste tellement incroyable et dense, n’importe quel film n’aurait pas été à la hauteur!

    1. Mon souvenir date de quatre ans et j’ai été déçue (je n’avais pourtant plus les petits détails en tête), alors j’imagine bien ta déception. Dupontel n’a pas une chance de s’en sortir… Pourtant, j’ai écouté l’émission « La Fabrique de l’Histoire » où il était question du film et les historiens présents, qui avaient beaucoup aimé le roman à l’époque, ont apprécié le film. Même celui qui venait de le lire…

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